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Galván à Paris, d’« Israel & Mohamed » en « Sevillana soltera »

Israel Galván a de l'humour à revendre. On le croyait sérieux et un brin introverti, on le découvre de plus en plus épris d'autodérision. Et si son arrimage en tant qu'artiste associé au Théâtre de la Ville n'avait apporté que cela comme éclairage sur le Sévillan, ce serait en soi une précision capable de nous faire réinterpréter certaines de ses œuvres. Dans son duo Israel & Mohamed  avec Mohamed El Khatib et dans sa Sevillana soltera en Paris, ce fils d’un couple de bailaores  enquête sur sa propre identité comme sur les identités potentielles de la sevillana.

Sa plus grande drôlerie à ce jour avait été Ri te [notre critique], duo avec Marlene Monteiro Freitas, brièvement repris en décembre 2025 au Centquatre-Paris et présenté pour la première fois en décembre 2022 au Théâtre de la Ville [notre critique].  La présence d’une partenaire de jeu impliquait pour Galván de rester longuement assis en s'éloignant de l’idée originelle d'un spectacle dansé. Mais il avait trouvé là une vraie complice, pour une rencontre entre « son » flamenco et l’univers d’une artiste qui se nourrit, entre autres, des carnavals créoles et du vaudou. Quant à Galván, on regarde autrement Ri te après avoir vu Israel & Mohamed. Car Ri te voit deux personnages qui tentent de permettre à leur parole de se constituer et de se libérer, alors que Galván nous confie dans Israel & Mohamed qu’en fait, il est bègue ! « Je ne parle pas beaucoup, car sinon le spectacle serait beaucoup plus long », rigole-t-il. Mais au fond, il s’en était déjà amusé aux côtés de Monteiro Freitas…

Que le duo dansé ne soit pas son affaire, Israel l'affirme clairement autour de sa Sevillana Soltera: « C'est à l'origine une danse de couple ; mais comme je suis très timide, j'ai choisi de la danser seul – en célibataire. » La relation au père n'y est pas pour rien. D'une, Galván raconte que lorsqu'il était enfant, son père l'inscrivait à des concours de sevillanas, sans grand succès: « Je ne gagnais jamais car je ne sais pas vraiment les danser, même si je les aime profondément. » De deux, Israel et son père, dans Israel & Mohamed, nous révèlent de délicieuses anecdotes autour de leur relation.

Sa sevillana et son père

Que Galván dansait, à quatre ans déjà, dans les tablaos à la fin des spectacles de ses parents, on le savait plus ou moins. Il nous précise ici que lorsqu'il était fatigué, il se couchait dans un étui de guitare. C’est en dansant sur la scène de ses parents qu’il apprenait, par le nombre et la couleur des billets lancés par le public en guise de reconnaissance, que la danse pouvait être un métier. Et quand son père lui demande aujourd’hui de danser selon la tradition pour gagner en reconnaissance financière, il rétorque: « On me paye deux fois plus pour danser à ma façon. » Et son père d’y participer, en vidéo, dans Israel & Mohamed. Comprend-il désormais mieux l’art de son fils ?

Son duo avec Mohamed El Khatib, Israel l’appelle « une véritable enquête, un documentaire dansé ». Le metteur en scène est allé recueillir les souvenirs du père, qui naturellement trouve là plus de liberté à s’exprimer que face à son fils, notamment quand il se souvient de moments douloureux, non sans s’en amuser : « Ma femme m'a dit, ne vas pas voir La Curva, tu ne vas pas aimer. J'en ai pleuré. Ce que j'ai vu dernièrement d'Israel n'est pas intéressant et ne me plaît pas. » A-t-il vu Sevillana soltera ? Ce spectacle a tout pour creuser le clivage artistique entre le fils et ce père qui, jadis, crevait les ballons des enfants du quartier pour empêcher son fils de jouer au foot et le pousser vers le travail d'apprentissage du flamenco.

Quand la sevillana s’éclate

Pour le señor de los Reyes père, une sevillana est sévillane, ça va de soi. Pour son fils Israel, elle se décline en mille facettes. Sevilla soltera en Paris commence par une version XVIIIe siècle, avec Benjamin Alard au clavecin, en dialogue avec la comptine Cuckoo, un chant pour enfants composé par Benjamin Britten. Les sevillanas s’enchaînent, tantôt en musique populaire (Sevillanas de banda municipal), baroque (Sevillanas de Lully) ou contemporaine – Sevillanas de Penderecki – en tirant sur la corde jusqu’à une forme d’abstraction totale. Il y a les sevillanas dites des deux sœurs, des animaux, des chevaux…

Galerie Photo © Laurent Philippe

L’imagination semble ne pas avoir de limites. Galván danse en automate absurde, à vélo (en prenant le guidon pour des castagnettes), sur un matelas et donc en silence, trace des carrés autour du plateau vide pour mettre en scène sa solitude, gratte du granulé ou des éclats… En gros, il traite la danse flamenca à la manière d’un John Cage avec son piano préparé. Les castagnettes ? « J’essaie d’en jouer, mais à ma manière. » Qu’en dira son père ?

De sa Carmen, Galván ramène le costume noir et la grande plume, quelques regards ironiques et surtout Maria Marín, la guitariste et chanteuse qui cette fois se retrouve face à Los Sones, une authentique charanga, autrement dit un orchestre festif sévillan qui anime habituellement mariages et autres fêtes. Aussi cette Sevillana soltera a beau paraître épurée ou quelque peu distanciée, à y regarder de près elle est aussi inénarrable que la très goulue production de Carmen  [notre critique]. Quant à son goût pour le grotesque, Israel G. le vit d’autant plus librement qu’il aborde sa collection de sevillanas en danseur solitaire.

« …et que font nos enfants ?... »

Une autre image très sévillane est ce tas d’oranges et on peut se demander si Galván va s’en servir pour jouer au football. Tout est possible. Dans Israel & Mohamed, les deux chercheurs ès-héritage familial abordent leurs relations paternelles respectives à travers les gestes des footballeurs. « Le point de départ était notre pratique commune du football », écrit Galván. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ont fait équipe. Au contraire, El Khatib avait ses entrées au PSG, alors que le club de Galván est celui de Séville qui incarne le lien avec le terroir : le Bétis. On voit par ailleurs sur la couverture de la brochure de la série Galván du Théâtre de la Ville (où il est artiste associé) le petit Israel dans le maillot du club qui joue en vert et blanc. Le bailaor en est resté un fervent supporter, arborant même des chaussures dans les couleurs du Betis, le soir de la première au Théâtre des Abbesses.

« Au fil des conversations, nous avons découvert que nous avons beaucoup plus en commun, chacun avec sa culture. Nous nous sommes dit qu’il serait bénéfique de nous souvenir de nos pères alors que nous sommes pères nous-mêmes », écrit Galván. Ensemble, ils s’amusent dans la douleur de constater l’incompréhension des pères respectifs, qui apparaissent en vidéo. Celui d’El Khatib est ouvrier et déclare : « Je suis d’une génération où on a tout sacrifié pour ses enfants. J’ai travaillé dur, mon corps est cassé, j’ai mal partout. Et que font nos enfants ? Du thé-â-tre ! ». Ce qui est du classique. Le conflit de générations dans la maison de los Reyes est bien plus croustillant encore.

Une bulería comme à l’époque

Le père se souvient d’Israel enfant qui rencontre un étrange problème :  les cheveux ne poussent pas. Les parents tentent des recettes miracles les plus étranges. Et coûteux. « Aujourd’hui il y a des danseurs de flamenco chauves. A l’époque c’était impensable », explique le père en vidéo, interviewé par El Khatib. Lequel, par ailleurs, parle espagnol, ce qui est ici particulièrement utile. Sur scène, El Khatib traduit les propos de Galván. Lequel décore son cou de médailles symboliques représentant tous les prix qu’il a pu rafler dans les concours de flamenco en Espagne et ailleurs. Pour les écraser violemment sur une table. La fureur est là, le geste réconciliateur aussi. Pour son père, Galván va reconstituer, à l’identique assure-t-il, la bulería qu’il avait dansée au concours de Córdoba. A l’écran on voit le père, à la fois fasciné et sceptique, réagir à cette proposition.

Galerie Photo © Laurent Philippe

Le moment le plus significatif est peut-être celui où Israel le Sévillan nous présente une vidéo ancienne, dans laquelle on voit deux danseurs, des hommes quasiment collés l’un à l’autre dans un unisson sensuel. L’un d’eux se nomme Mario Maya, lauréat au concours de Córdoba et professeur d’Israel. Pourtant, se souvient Israel, « on disait Maya trop efféminé. » Aujourd’hui il n’y a plus guère que le père de Galván qui pense ainsi, semble-t-il. Mais d’où vient donc l’engouement d’Israel pour les personnages, les accessoires et les gestes féminins ? Y aurait-il un lien ? Maya aurait-il ouvert une voie ?

Galerie Photo © Laurent Philippe

A bien y regarder, Israel & Mohamed marque pour Galván un énorme pas en avant dans la recherche d’une vérité intérieure, ici explicite mais déjà présente dans de nombreuses créations précédentes chez celui qui avait en fait deux parents danseurs. La mère s’appelle Eugenia de los Reyes. La sœur Pastora de los Reyes, sans oublier un Bermúdez parfois indiqué en complément, alors que le père s’appellerait en fait José Luis Galván Figueras. Dans son duo avec El Khatib, leur fils va par ailleurs nous narrer comment il se transforme en Galván de los Reyes quand il danse dans un pays arabe. Il s’agit bien de cela dans les créations d’Israel Galván : explorer les identités possibles, ici celles de la sevillana et de lui-même. Et si les mères respectives n‘apparaissent pas dans son duo avec El Khatib, on peut se demander si celle de Galván n’innerverait pas déjà, depuis quelque temps, les personnages de son fils. Qu’en dira le père ?

Thomas Hahn

Sevillana soltera en Paris

Vu le 5 décembre 2025, Paris, Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt

Chorégraphie Israel Galván

Son Pedro Léon

Lumières Valentin Donaire

Costumes Micol Notarianni

Israel Galván, Danse 

María Marín Chant et guitare
Los Sones (Fernando Méndez Santos, Fulgencio Orden Ciero, Miguel Ángel Delgado Zam, bruno, Tomás García López, Enrique Huertas Suárez, Miguel Ángel Delgado Garzoli) Charanga (fanfare) 

Benjamin Alard Clavecin

Ilona Astoul Voix

Shaï Sarfati Chant

Israel & Mohamed

Vu le 10 décembre 2025 Théâtre de la Ville Les Abbesses.

Avec Mohamed El Khatib et Israel Galván

Conception Mohamed El Khatib et Israel Galván

Scénographie Fred Hocké

Vidéo Zacharie Dutertre, Emmanuel Manzano

Son Pedro León

Costumes Micol Notarianni

 

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