« FutureNow », par Yuval Pick
Le chorégraphe israélien, qui a quitté la tête du Centre Chorégraphique National de Rillieux-la-Pape où il était installé depuis 2011 et vient de créer sa nouvelle compagnie, Ligne Sauvage , nous offre ici un quatuor enjoué qui interroge les origines de la subjectivité, avec légèreté et profondeur. Et des interprètes particulièrement brillants.
Oh le futé! Pour FutureNow, sa pièce de 2021, Yuval Pick a été rechercher les états d'imagination de l'enfance et les images qui en proviennent et construisent une personnalité. Bien, mais pas révolutionnaire : le retour vers « le vert paradis des amours enfantines » n'a jamais cessé de fasciner pour le meilleur ou le pire. Mais, premier stratagème, le chorégraphe a joué de la méthode Pina. Comme la grande dame du TanzTheater, Yuval Pick entretient des relations au long cours avec ses interprètes. Cela crée une confiance et des habitudes de travail ; il a donc demandé à chacun des danseurs, Noémie De Almeida Ferreira, Alexandro Fuster Guillen, Madoka Kobayashi et Emanuele Piras, d'explorer leur propre enfance, de se remémorer ces moments où la créativité jaillissait sans entraves. De ces souvenirs, ils ont créé des solos qui sont autant de fragments d'histoires personnelles.
Deuxième stratagème, la construction. Dans une démarche quasi cinématographique mais non narrative et qui repose sur un montage "cut" et soigné, Yuval Pick a découpé et remonté les solos de ses danseurs comme un réalisateur le ferait avec des scènes de film. Cette approche documentaire permet de laisser émerger les formes et les émotions avec une authenticité désarmante. Les corps des danseurs deviennent des vecteurs d'histoires, mais le rythme très soutenu des entrées, le fonctionnement par juxtaposition permet un emportement, un engagement et une tension qui ne baissent à aucun moment.
Cette approche évoquant le cinéma se retrouve dans l'usage des autres éléments du système de l'œuvre. Ainsi, la création sonore, signée Max Bruckert en collaboration avec Pierre-Jean Heude souligne cette quête introspective. Rythme très soutenu, quasi électro, mais utilisation et distorsion de sons du quotidien dans une logique électro-acoustique, mélodies traditionnelles détournées ; à chaque épisode semblent répondre une ambiance sonore, comme une coloration sur laquelle se calent les mouvements des danseurs. La musique devient alors un décor à part entière, proche d'une logique de musique de film. D'autant que la scénographie lumineuse, signée d'un plasticien, Sébastien Lefèvre, joue et fonctionne comme un écrin de couleur qui caractérise chacune des prises de parole des danseurs. A noter, les costumes imaginés par Gabrielle Marty en collaboration avec Florence Bertrand, particulièrement colorés et inventifs, très seventies et déroutants, comme sortant de cette fameuse malle à costumes qui accompagne les jeux d'enfants, et qui soulignent la liberté et la spontanéité de chacun.
La pièce repose sur les quatre interprètes qui ont donc apporté leur histoire et leur physicalité. Mais, pour cette série de représentations parisiennes, il s'agit de Noémie De Almeida Ferreira, Simon Hervé, Mio Fusho et Jade Sarette, soit une distribution très différente de la version originale (et, depuis la création, cela s'est produit plusieurs fois). Comme le reconnaît le chorégraphe, « effectivement il y a eu trois reprises de rôles pour les représentations à Paris. Noemie la Franco-Portugaise a joué son rôle de la création. Nous avons gardé les même récits que ceux de la distribution originale et nous avons travaillé à la façon de faire vivre ces histoires à partir de l’imaginaire des interprètes d’aujourd’hui et à partir de leur connexion aux repères humains qui existent dans les récits. » En somme, Simon Hervé, Mio Fusho et Jade Sarette ont endossé des rôles en les adaptant à leur propre situation. Du bon travail d'acteurs ! Oui mais la danse… Car la variation que chaque danseur a proposée pour son solo a été taillée sur mesure et ne manque pas d'être exigeante voire virtuose. Très soutenue dans les rythmiques, avec des passages au sol requiérant une maîtrise et une physicalité très particulières (à cause de la dynamique notamment) chaque solo répond à sa bande-son et donc à la fable racontée : pas moyen de prendre des libertés d'interprète…
Mais, troisième technique : LA technique. Tous les danseurs de Yuval Pick maîtrisent « Practice », la méthode de travail et de danse que le chorégraphe a mise au point et qu'il enseigne. Malgré le goût pour des physiques très diversifiés dans la compagnie (la nouvelle, Ligne sauvage, mais aussi l'ancienne, Guests, qui animait le CCN de Rilleux), il y a donc une homogénéité de l'outillage technique qui permet des reprises et des passages de rôles qui, sans ce bagage, seraient très complexes. La taxonomie académique n'a pas été inventée pour un autre motif. Ici, cela permet à trois danseurs, qui ne l'ont pas créée, d'endosser une pièce pourtant éminemment personnalisée et centrée sur les interprètes créateurs. D'où cette sensation de fluidité qui culmine dans le final intense et jubilatoire, genre pompom girls sous acide, soudain interrompue par le noir final, qui touche juste.
Et c'est très fûté.
Philippe Verrièle
Vu le 21 mars 2025 à La Maison des Métallos, Paris.
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