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« Full Moon » de Josef Nadj

Voïvodine, Pays Dogon, même combat ? Josef Nadj récapitule, en conférence de presse à Montpellier Danse, son parcours qui s’est articulé en plusieurs phases. Les premières pièces, notamment Canard Pékinois (1987) et Sept Peaux de Rhinocéros  (1988) s’affichaient plutôt sombres et énigmatiques, sous l’influence des ambiances locales, à Kanjiža. Et de nous parler d’une troupe de théâtre de cette ville qui, pendant la guerre, répétait sous (!) le plateau du théâtre. Ce qui se termina par une série de suicides ! Ses premières pièces, dit Nadj, avaient pour but de « récupérer la mémoire de la ville de Kanjiža ». Sans parler de l’influence de la littérature d’Europe de l’est.

Après sa carrière mondiale de chorégraphe établi en France, il vit aujourd’hui à Budapest où il subit les ambitions d’un gouvernement qui voit la culture comme un levier pour promouvoir une vision nationaliste de la culture et de la vie. Nadj étant une célébrité, on lui avait offert un poste dans une institution culturelle. Il refusa. Depuis, plus aucun débouché pour ses créations en Hongrie, et surtout pas avec une pièce comme Full Moon, probablement. Sept danseurs africains, tous déjà vus dans Omma  [notre critique], plus Nadj en personne y renouent avec les ambiances nocturnes de Canard Pékinois.

Repartir de zéro

Beaucoup de cette rencontre est dû au peintre et sculpteur Miquel Barceló avec lequel Nadj avait d’abord crée Paso Doble (2013), inoubliable labourage d’un paysage en argile, et plus tard exploré la culture des Dogons. Entretemps, il vit son départ de la direction du CCN d’Orléans (fin 2016) comme une « libération ». Il découvre le plaisir de « redevenir nomade » et se met à réfléchir sur son parcours, placé sur un axe est-ouest, qui l’amena jusqu’au Japon. Et s’il commençait à explorer un axe nord-sud ? « Le Pays Dogon me rappela mon enfance », dit-il. Le rapport à la terre, les gestes des paysans… Un parfait terrain d’entente.

Galerie photo : Laurent Philippe

Avec ces danseurs – aux origines africaines mais pour la plupart établis en France – il a travaillé pour leur faire désapprendre leurs gestes traditionnels et repartir de zéro, à la recherche de gestes primordiaux universels. Donc pas de « danse africaine », ni dans Omma, ni dans Full Moon. Et pas non plus le langage de Nadj lui-même. Est-ce vrai ? Nadj relie le langage chorégraphique de Full Moon  au jazz(qu’il connaît comme peu d’autres) et aux rites de différentes cultures africaines, en reprenant non leurs gestes mais leurs énergies.

Ambiances nocturnes

Dès le départ, l’ambiance dans Full Moon se situe aux antipodes des rites et rigolades diurnes marquant Omma. Le nouveau, tout dans une hypothétique rencontre Voïvodine x Dogons commence en clair-obscur par des gestes simples, lents et percutants, parfois liés à la nature ou au travail des champs. En fond de scène ou au premier plan, en solo ou en contrepoint, apparaît Nadj. Et disparaît. En son costume de ville noir commun à toutes ses pièces. Et sur la tête un masque qui, lui, ne revendique aucune parenté culturelle. Abstrait, en noir et blanc, il change d’aspect avec les éclairages et peut évoquer un chat, le cubisme ou l’Afrique, avant que tous ne reviennent sous couvert de masques, bien plus figuratifs cette fois, pour une conclusion voire un bis drôlement surprenant.

Galerie photo : Laurent Philippe

La pomme de la discorde arrive après, sous forme de tableaux de groupe, face public, quand le septuor au torse nu passe par des figures de Charleston, de processions funéraires, de travail des champs et autres scènes de la vie, telle qu’elles se sont produites de millénaires durant, en Voïvodine comme au Mali. Ils se mettent même à transpercer symboliquement le corps de la marionnette vivante qu’est Nadj, avec un long bâton... Et puis, oh scandale, ils vont évoquer toutes sortes d’animaux et même bouger tels des singes sous la pleine lune de Montpellier qui, le jour de la première, n’était vieille que de deux jours…

Danser sous le regard des autres

D’aucuns reprochent donc à Nadj d’en faire trop en matière d’exaltation du corps noir, de verser dans des stéréotypes aux confins de la fascination malsaine. Ce qui est assez curieux, puisque c’est ceux-là qui sont victimes d’une fixation. Et on pense à Rafael Palacios, le fondateur de la compagnie afro-colombienne Sankofa, qui consacra une pièce à la question du regard sexualisant sur le corps noir et à la revendication de pouvoir danser sans être transformé en fétiche. Il en va de même pour le droit de se référer à une animalité de l’humain que l’Occident se complaît à refouler. Les animaux ont pourtant fait partie de l’univers de Nadj depuis le début, dans ses titres comme dans ses performances.

Galerie photo : Laurent Philippe

Et encore : Mais pourquoi n’y a-t-il pas de femmes dans ces pièces ? « Dans la tradition ce sont les hommes qui portent les masques », dit-il. Mais quelque chose veut aussi que l’écriture ne pourrait être la même. Comme chez Sankai Juku ou chez les groupes de la K-Pop où garçons et filles ne se mélangent pas. Si chez nous cela paraît politiquement incorrect dans Full Moon,alors que personne ne le reproche à Sankai Juku, il existe une justesse qui réside dans la focalisation sur une seule énergie, pour faire exister un personnage symbolique à travers plusieurs corps, dans une épure qui explore des liens sur un axe vertical et bénéficie de ne pas être croisée par un axe relationnel horizontal. Dans cette polémique naissante, la pleine lune y était-elle pour quelque chose ?
Thomas Hahn
le 24 juin 2024 Montpellier Danse #44, Opéra-Comédie,
Full Moon
Chorégraphie : Josef Nadj
Avec Timothé Ballo, Abdel Kader Diop, Aipeur Foundou, Bi Jean Ronsard Irié, Jean-Paul Mehansio, Sombewendin Marius Sawadogo, Boukson Séré et Josef Nadj
Collaborateur artistique : Ivan Fatjo
Costumes : Paula Dartigues
Lumières et régie générale : Sylvain Blocquaux

 
 

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