Fouad Boussouf et Anne Nguyen au Festival Plein Phare

Deux semaines de danse non-stop au Havre et dans sa région et une programmation qui puise dans différentes esthétiques : Plein Phare a présenté une quatrième édition riche de propositions variées qui fait la part belle au jeune public, un des marqueurs du festival.

‘’Que la danse soit plus visible et que tous les publics comprennent combien cet art les concerne’’ : c’est l’ambition affichée de Fouad Boussouf à la tête du Centre chorégraphique national du Havre depuis quatre ans. Sans conteste, le chorégraphe a su attirer un public de plus en plus nombreux pour ce rendez-vous festif et drainer vers le Phare les jeunes et même très jeunes générations. Fouad Boussouf a aussi convié dans l’aventure des théâtres de la région participant ainsi à aller chercher de nouvelles audiences.

°UP, la dernière création de Fouad Boussouf fut ainsi montrée au public adulte mais aussi à des classes du Havre et des alentours nécessitant un travail en amont. Il n’est pas évident pour toute une génération nourrie aux écrans et à des injonctions médiatiques formatées d’oser franchir les portes d’un théâtre et d’imaginer que ce qui s’y joue est aussi fait pour eux. Fouad Boussouf et ses équipes remportent haut la main ce défi grâce à un engagement sans failles. Le chorégraphe vient lui-même prendre la parole devant ce jeune public pour à la fois lui donner quelques clefs et le rassurer sur l’attitude à adopter. Il reviendra à la fin du spectacle pour animer un débat où fusent les questions. Jouer devant la jeunesse a un avantage ou un inconvénient : elle ne triche pas. Si ce qui se passe sur scène ne la touche pas, elle le fait savoir par des réactions bruyantes. En revanche, on ressent instantanément son attention et son intérêt quand elle est captée.

Gabriel Majou et Paul Molina, les 2 interprètes d’°UP ont captivé ce jeune public mêlant collégiens et lycéens. Le premier est musicien, compositeur et violoniste. Il collabore régulièrement avec Fouad Boussouf. Il a en particulier écrit la partition de VIA créée en 2023 pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève. Le second a commencé sa carrière dans le football professionnel avant de transformer cette passion vers l’art du football freestyle dont il est aujourd’hui l’un des plus talentueux représentants. On s’étonne de cette idée d’un mano a mano entre deux univers que tout oppose. Le football est l’incarnation d’un sport mondial et populaire quand le violon est l’instrument archétypal de la musique savante. Il se trouve que Fouad Boussouf aime l’un et l’autre ! Et à y regarder de plus près, on comprend qu’il y a dans le football une manière de bouger qui parfois prend l’allure involontaire d’une chorégraphie.

Du noir initial surgit dans une demie pénombre le violoniste assis sur un tabouret. Pour cette création, Gabriel Majou a créé son propre instrument pour en faire sortir les sons électroniques qu’il souhaite. Arrive très vite Paul Molina pour un premier tour de piste balle au pied avant de se lancer dans une série de dribles infernale. S’installe un dialogue d’une constante drôlerie, un face-à-face où l’un et l’autre se défient en toute fraternité. Paul Molina fait ce qu’il veut du ballon, jonglant avec ses pieds dans une stupéfiante démonstration de virtuosité. Il s’immisce dans la musique de Gabriel Majou pour utiliser la balle comme une percussion brisant pour l’occasion les règles du football faisant rebondir le ballon sur le sol avec la main. Gabriel Majou montre que lui aussi sait bouger, se tordre et jouer dans d’improbables positions. °UP est un spectacle ludique, joyeux qui plonge dans l’enfance et son goût du jeu perpétuel. Ils cabotinent avec humour et distance. C’est tendre et réjouissant.

Anne Nguyen partage avec Fouad Boussouf l’origine d’un mouvement ancré dans le bitume. Mais Matière(s) Première(s) va chercher du côté de l’histoire coloniale et comme l’indique le titre, témoigne via la danse du pillage des ressources du contient africain. Ce spectacle créé en 2023 percute fort. Il a trouvé sa source et sa maturation dans la rencontre déjà ancienne entre Anne Nguyen et Faustin Linyekula. Matière(s) Première(s) questionne l’imaginaire occidental et sa relation avec les représentations des cultures traditionnelles et urbaines.

Galerie photo © Patrick Berger