« F*cking Future » de Marco da Silva Ferreira
Le chorégraphe portugais Marco da Silva Ferreira tire son inspiration de l’air du temps pour créer F*cking Future avec sept danseurs, montés sur une scène quadrifrontale.
Bonne nouvelle, F*cking Future, nouvelle création de Marco Da Silva Ferreira, va moins plaire ! La meilleure chose qui pouvait arriver car, ce faisant, cela permet au chorégraphe, tellement encensé par le milieu chorégraphique, de développer un propos plus personnel. Ici un début – ce n'est pas encore une totale réussite – de réflexion sur la coercition mutuelle qu'exerce un groupe sur les corps qui le constituent.

Objet d'un engouement assez déraisonnable, Marco da Silva Ferreira fait figure de référence de la danse portugaise, au point que le Centre National de la Danse peut sans sourciller écrire sur son site que « En une poignée de spectacles, [il] a imposé le Portugal, son pays, sur la carte chorégraphique contemporaine ». Ce qui fera plaisir à Rui Horta, Paolo Ribeiro ou Vera Mantero - sélection non exhaustive – lesquels ont donné une toute autre ampleur à la danse portugaise quelques décennies avant la présente prétendue référence… Le ridicule ne tue pas, heureusement pour certains. Mais cela explique que la première de cette création excita les folliculaires un peu plus qu'il n'était raisonnable pour un artiste au bilan créatif correct. Ainsi, et guère plus brillant qu'un autre, le parcours de Marco da Silva Ferreira commence avec un premier solo en 2012 puis Hu(r)mano (2013) plus remarqué, mais surtout parvient à faire parler de lui avec Brothers (2017), sa deuxième création, qui prolonge un travail sur la culture urbaine déjà entrepris avec Hu(r)mano, cette fois-ci à travers un prisme plus historique, notamment lié aux origines de ces danses.
Dans Hu(r)mano, les références chorégraphiques sont plus évidentes et grand public (la house, le popping, le new style), alors que dans Brothers les références sont plus souterraines (le kuduro, le pantsula, le voguing).
« Une grande partie de la culture dite urbaine vient des cultures africaines, je me suis alors concentré à tisser des liens entre ces différents styles de danse et leurs états d’esprit à travers une lecture contemporaine », expliquait le chorégraphe au Théâtre de la Ville. Le programme était relativement tenu, la pièce plutôt aboutie pour une démarche esthétique assez dans l'air du temps, mais qui date d'il y a déjà d'une bonne dizaine d'années !
C'est surtout avec Carcaça (2022), maelstrom pour dix danseurs empruntant aux danses urbaines et un peu au folklore portugais, assez peu subtil mais objectivement survolté, que le chorégraphe déboule sur les théâtres européens provoquant quelques pâmoisons aussi à la mode qu'excessives. Pièce qui tient sur la débauche d'énergie exceptionnelle des interprètes, Carcaça ne méritait pas autant d'honneur et aurait gagné à un peu de nuance dans la composition. Dans le genre « danse d'épuisement », elle ne figurait pas au rang des plus sophistiquées et pouvait se voir reprocher l'adresse de Rui Horta (dans Khora,1997) au public du Théâtre la ville : « qu'est-ce que vous regardez, la danse ou la danseuse ? » En l'occurrence, les danseurs, mais la nuance n'importe guère, car c'est bien de la prestation vitaminée des interprètes que s'enticha la chronique sans retenir que le travail de composition et d'élaboration se bornait à un collage de personnalités laissées relativement en roue libre. À la décharge du sus-visé, cette typologie de propositions saturant le plateau d'interprètes qui en masse agitée, selon une gestuelle abandonnée à la précision et au bon vouloir de chacun pourvu qu'elle réagisse à une musique surpuissante, abonde. Comme si parce qu'il « adore regarder danser les gens » mais qu'il ne fréquentent plus le Louxor, les chorégraphes ne savaient plus « couper le son ». A cette aune, Philippe Katerine pourrait donc revendiquer un CCN…
A part un titre qui fait dans la fausse provocation (depuis quand le « u » en plus ou en moins dans « Fucking » fait-il provo où l'atténuerait-elle?), F*cking Future marque une étape au regard de ce qui pouvait sembler un tic de composition (ou d'absence de composition) des pièces précédentes. Non que cet octuor d'une heure conçu pour les espaces non théâtraux soit un modèle de subtilité compositionnelle, mais il apparaît comme moins brut, moins dépendant de l'engagement individuel des interprètes et plus composé, d'autant que le dispositif n'y concoure pas : quatre gradins entourant un plateau carré, ce qui ne laisse guère de possibilités. Mais le plateau luit comme un miroir noir, balayé d'un jeu de laser bleu s’y reflétant au gré de déplacements aléatoires, tandis que s'installent les spectateurs. L'entame de la pièce est également assez convaincante. Dans l'ombre, à la lumière rasante diffractée par une fumée un peu mystérieuse (des bouches de diffusion sont intégrées dans les socles des gradins), des formes apparaissent scandant une marche heurtée. Par accumulation, le groupe se forme tandis que s'estompe l'illusion visuelle, dévoilant les huit interprètes, tous vêtus pareillement d'un pantalon en matière noire luisante et d'une camisole de cote de maille d'acier froid. Ils vont se regrouper, se fondre, tenter de s'enfuir en escaladant l'un des gradins, revenir, s'allonger et finir sous le catafalque de lumière laser. Cohérent quoique simple, mais un réel propos qui ne se borne plus au seul « j'adore, j'adore, j'adore » de Philippe Katerine regardant les danseurs.
Galerie photo © Blandine Soulages
F*cking Future porte un propos plus clair, une intention expressive qui ne se limite pas à l'admiration des danseurs qui dansent une danse que l'on pourrait danser si l'on dansait comme il danse : sorte d'enfermement sur soi que la musique pour le moins peu nuancée dans sa pulsion oppressive exacerbée. Que F*cking Future puisse néanmoins décevoir s'entend. La matière gestuelle élaborée encore assez maigre permet de soutenir le propos une demi-heure, au début et à la fin. La demi-heure du milieu se redit et pèse. Pour autant avec ces réserves, cette pièce montre que le chorégraphe ouvre une nouvelle étape de son parcours et pourrait aller jusqu'à prendre le risque de décevoir les attentes qui le soutiennent avec aveuglement mais l'enferme dans ses facilités.
Cette pièce marque donc une étape, espérons-le
Philippe Verrièle
Vu le 20 septembre 2025, au Grandes Locos, La Mulatière dans le cadre de la Biennale de Lyon.
Direction artistique et chorégraphie Marco da Silva Ferreira
Assistance dramaturgique et artistique Catarina Miranda et Cristina Planas Leitão
Entrainement des danseurs José Santos
Danseurs (résidence) Mélanie Ferreira
Musique Rui Lima & Sérgio Martins
Lumières Teresa Antunes & Rui Monteiro
Avec : Catarina Casqueiro, Eríc Amorim dos Santos, Fábio Krayze, Doisy Bryan, Marco da Silva Ferreira, Matias Rocha Moura, Max Makowski, Nala Revlon
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