Entretien Pierre Rigal
À l'occasion de notre reportage sur la création de Salut à l'Opéra de Paris, nous avons interrogé Pierre Rigal, qui chorégraphiait pour la première fois pour le Ballet de l'Opéra.
Danser Canal Historique : Pourquoi avez-vous intitulé votre pièce Salut ?
Pierre Rigal : Lorsque Brigitte Lefèvre m’a proposé de faire cette création pour l’Opéra de Paris, je voulais trouver un thème qui ait un rapport dans sa forme avec le ballet. Je ne sais plus trop comment j’ai eu l’idée du salut, mais elle est arrivée assez tôt dans le processus. C’est à la fois un geste chorégraphique que tous les acteurs et les danseurs du monde connaissent et exécutent, et, dans le domaine de la danse classique, ils sont particulièrement précis et codifiés et peuvent se réaliser avec un très grand nombre de danseurs. Je tenais donc ma référence au ballet classique. Mais bien entendu, c’est un mot riche de sens qui peut signifier bonjour et au revoir, le fait d’être sauvé, de trouver ou retrouver la félicité ou la prospérité et même, pour les croyants, une vie éternelle… Je trouvais donc ce mot passionnant car à la fois très concret et permettant des prolongements philosophiques ou métaphysiques.
DCH : Comment avez-vous choisi vos danseurs ?
Pierre Rigal : On a organisé une audition et j’en ai choisi une cinquantaine parmi les danseurs du Corps de ballet. Malheureusement, certains n’étaient pas disponibles. Finalement, la moitié a été séléctionnée lors de cette audition et les autres m’ont été suggérés. Quoi qu’il en soit, ce sont de très bons danseurs et je les aime beaucoup. Je les ai également choisis en terme d’âge, de morphologie, de physique, et de personnalité car je souhaitais qu’ils soient très différents les uns des autres.
DCH : Vous qui êtes habitué à diriger votre propre compagnie, avez-vous été surpris par la façon de travailler à l’Opéra de Paris ?
Pierre Rigal : La nouveauté a été surtout cette division de la journée en plusieurs « services ». Notamment la répétition réservée aux solistes qui doivent ensuite être intégrés dans le travail de groupe. D’autant que dans cette pièce, il n’y a pas réellement de différence entre ce que je demande aux solistes et au Corps de ballet. Du coup, c’est un peu bizarre pour moi et je ne me suis pas peut-être pas organisé au mieux compte-tenu de cette donne. C’est une question d’ignorance. C’est la première fois que je crée pour un ballet. Cela dit, le temps avec les solistes m’a servi à pousser mes recherches, à expérimenter des idées ou essayer des modules chorégraphiques avec eux avant de les appliquer au groupe. Mais, avec l’expérience acquise, je m’y prendrais autrement.
DCH : Les danseurs sont-ils entrés facilement dans votre type de recherche chorégraphique ?
Pierre Rigal : L’audition m’a un peu servi d’atelier. J’ai pu distinguer ceux qui étaient amusés par ce type de travail. Parce que ça nécessite tout de même une collaboration active des danseurs vis-à-vis d’un mode de fonctionnement qu’ils connaissent moins. Comme le temps de création est très resserré, nous n’avons pas pu faire d’atelier préalable mais cela aurait l’idéal pour que les danseurs puissent s’imprégner de ma façon de chorégraphier. Cela dit, certains comprennent très bien le système, d’autres un peu moins, mais dans l’ensemble ça se passe bien. Maintenant, à une semaine de la première, il va falloir qu’ils s’impliquent davantage et s’imprègnent de la pièce, des temps particuliers, les accélérations, les décélérations, les immobilités. Ils ont tendance à craindre énormément les moments immobiles ou ralentis. J’espère avoir le temps de créer les contrastes que je souhaite. Il faut dire que les repères musicaux sont assez peu marqués. Ils sont peut-être habitués à des musiques plus rythmées, plus comptées, alors que celle-ci est plus diluée. Donc ça les laisse face à leur responsabilité en terme de temporalité. Mais les répétitions sur scène vont sans doute modifier les choses car il y a d’autres éléments qui vont leur donner des repères : la lumière, l’espace, les costumes.
DCH : À propos des costumes, justement, qu’avez-vous prévu ?
Pierre Rigal : Je voulais partir d’un archétype classique, donc c’est vrai également pour les costumes qui s’inspirent de la tenue de la danse classique, tutu pour les filles, veste et collant pour les garçons, puis, tout au long de la pièce, ce modèle se déconstruit pour aller vers une métamorphose, engager un autre cycle. Ce que nous avons travaillé aujourd’hui, c’est la fin de Salut. Ce sont les derniers moments de cette transmutation.
DCH : Nous avons également perçu une dimension que l’on pourrait qualifier de cosmique, vous parlez de planètes et de météores…
Pierre Rigal : Au début, tout est très structuré. La figure du danseur apparaît plutôt comme une mécanique bien huilée. Peu à peu, il perd ses « peaux », son costume, et du coup, l’humain apparaît. À la fin, on est dans la matière qui fabrique cet homme et on part dans une sorte de cosmos. La scénographie joue dans ce sens, car il y a une sorte de cycle du jour avec le soleil qui se lève, se couche et se lève à nouveau… mais sous une autre forme. Donc il y a un vrai rapport avec les astres, avec un certain vertige. Mais aussi un sentiment du quotidien avec son rythme diurne et nocturne. C’est ma vision du mot Salut, avec l’élargissement des notions qu’il recoupe.
DCH : Il y a une création musicale qui accompagne Salut. Comment avez-vous choisi le compositeur ?
Pierre Rigal : Au départ Brigitte Lefèvre m’avait suggéré des compositeurs qui étaient des « stars » de la musique d’aujourd’hui mais que je ne connaissais pas. Elle avait vraiment envie de me décaler par rapport à mes créations habituelles et de me faire rencontrer d’autres personnalités. Travailler avec quelqu’un de très talentueux, pourquoi pas, mais nous ne trouvions pas vraiment la personne idoine. Et pour moi, tout était nouveau dans ce contexte de l’Opéra, donc ça m’inquiétait. In extremis, je lui ai fait écouter les musiques de Joan Cambon qui avait composé pour des créations que j’avais réalisées il y a dix ans et ça lui a beaucoup plu. Du coup, j’étais soulagé. Idem pour les costumes. En fait Roy Genty n’est pas costumier mais directeur artistique d’Issey Miyake. J’ai pensé à lui car il a un regard plus périphérique, et je l’ai proposé et Brigitte Lefèvre a aimé cette idée… Et de plus, j’ai découvert qu’il avait un lien avec l’Opéra !
Propos recueillis par Agnès Izrine
À suivre : entretien avec Roy Genty, créateur des costumes, et Joan Cambon compositeur de Salut. Et notre reportage sur la création.
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