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Entretien avec Marcos Mauro

Sonoma, créé au festival d’Avignon l'été dernier, sera à l'affiche du Pavillon Noir les 8 et 9 octobre prochains. Voici l'entretien que Marcos Mauro nous avait accordé lors de la création. 

Danser Canal Historique : Sonoma vient d’un néologisme forgé à partir du grec soma (corps) et du latin sonum (son). Ce son du corps, comme un cri primal, a-il un rapport avec la pandémie ?

Marcos Mauro : Sonoma a été créé en partie pendant le confinement dû à la pandémie. Du coup, la pièce a été amplifiée, sans doute plus agitée, les cris faisant partie de mon propos. Dans ma précédente pièce, Pasionaria, nous parlions du futur, de cette société de robots, d’automates, très sèche, neutre. Je voulais imaginer le passé de ce futur-là, en noir et blanc. Quelle pouvait être l’origine d’un tel résultat ? Pourquoi en étions-nous arrivés là ? Donc j’ai déplacé ma focale… en chaussant les lunettes de Buñuel. C’est ma seconde pièce inspirée par ce réalisateur, la première ayant été créée pour le Ballet de Lorraine. Lui comme moi, venons de petites régions d’Espagne — Buñuel d’Aragon et moi de Valencia. Nous avons tous deux reçu une éducation catholique, sommes partis de petits villages pour découvrir le monde mais sans jamais rejeter le passé. Je vis avec le passé, le folklore, la religion, c’est mon héritage. Et c’est très important de le préciser. C’est pourquoi, Sonoma est une sorte de cri primitif, pour signaler notre présence ici et maintenant. Une des phrases de Buñuel que j’aime beaucoup dit « S’il y a un paradis il est ici et maintenant ».  Buñuel a toujours été inspiré par la religion. Même s’il n’est pas religieux, il aime le mystère de Dieu. Parce que, grâce à lui, les sociétés peuvent jouer avec les valeurs, la culpabilité, etc. Dans Les Frères Karamazov, Dieu revient dans le monde. Il se signale aux hommes. Et tout le monde lui dit : « Pars, ne reste pas ici, parce qu’en ton nom, nous faisons beaucoup de choses, nous tuons, nous changeons le monde, et nous aimons rester comme ça ». Tout ceci est présent dans ce travail.

DCH : Il existe, dans certaines de vos pièces, comme Los Pajaros Muertos (lire notre critique) ou même Voronia (lire notre critique),une certaine noirceur, qui rappelle, d’une certaine manière, l’Espagne de Franco. Pourquoi ?

Marcos Mauro : Je pense que pour les Espagnols, la dictature reste un événement majeur. Parce que nous vivons sans la moindre culpabilité. Ce qui signifie que ce sujet est toujours d’actualité, que ce n’est toujours pas résolu, c’est pourquoi c’est toujours présent dans VoroniaLos Pajaros Muertos ou Sonoma. Aujourd’hui, en 2021, les partis d’extrême-droite, sont de retour et c’est l’héritage de cette période. En tant qu’artistes, nous avons la responsabilité de soulever cette question. Pour rappeler au monde que nous avons déjà eu ça il y a quarante ans, Buñuel en a été la victime, ses films étaient interdits dans son pays. C’est pourquoi il est parti en France puis au Mexique. Je pense que la religion et la dictature rôdent autour du travail de beaucoup d’artistes, en Espagne. Même si on n’est pas obsédé par le passé, j’adore le futur. Mais pour comprendre le futur, il faut regarder en dans le rétroviseur. Et savoir qui vous êtes. 

DCH : Quand vous dites que Buñuel est très actuel pensez-vous particulièrement à la montée des extrêmes droites ?

Marcos Mauro : Oui. C’est le cas.

DCH : C’est la première fois que vous revenez deux fois, en quelque sorte, sur le même sujet. Pour le Ballet de Lorraine, vous avez créé Le surréalisme au service de la révolution. Est-ce la matrice de Sonoma ?

Marcos Mauro : Quand Petter Jacobsson m’a demandé une création, j’étais à une période de ma vie où Buñuel m’obsédait, mais le format demandé devait être court. Alors j’ai eu envie de développer ces idées et les laisser grandir pour en faire une pièce complète. Et quand le Festival Grec m’a demandé une pièce, j’ai repris cette source d’inspiration, car le sujet était toujours très vivant pour moi. C’est donc la première pièce que je crée en deux temps. Son thème, l’univers du surréalisme, l’idée d’apporter la tradition dans le présent, ou le passé à nos jours, est maintenant plus vivant que jamais. Car quand une crise se développe à l’échelle du globe, en l’occurrence le Covid, beaucoup de questions se saisissent de nous : Comment va être le futur ? Comment va-t-on y arriver ? Quelle était la précédente situation pandémique ? Et je pense que Sonoma est plus actuelle que jamais, car, plus que la religion, c’est l’idée du désir, de la communion, de comment survivre, comment contribuer à la société aujourd’hui. Je ne suis pas religieux, même si j’ai reçu une éducation religieuse, mais je suis heureux de vivre de ce côté du monde, en termes d’histoire, de culture, de partie de ma vie. Je suis heureux de pouvoir comprendre, la vie, en termes de situation cosmique, et non en remerciant dieu ou quelque chose de divin. Et je crois que Buñuel était heureux aussi de se tenir à cette frontière, entre le religieux et la vérité. Mais c’est surprenant, parce que le surréalisme est basé sur l’illogique et l’irrationnel, il ne s’agit pas de suivre une pensée, mais se sentir libre de se déconnecter de la pensée logique. Ce qui est fou c’est que Buñuel mélange cette liberté avec son passé, avec la tradition, le folklore, la religion, l’éducation, la bourgeoisie, parce qu’il vient d’une famille aisée, mais aussi avec les pauvres, l’injustice au sens politique, c’est très complexe car il n’est pas une personne qui laisse les choses au hasard, c’est très surprenant.

DCH : Vous incorporez dans Sonoma des tambours de Calanda, la ville natale de Buñuel, qui figurent dans plusieurs de ses films. Que représente cette tradition pour vous ? 

Marcos Mauro : Originellement, je connais très bien cette région aragonaise, et les tambours ont été conçus pour le vendredi Saint, quand Jésus Christ est mort. La terre et le ciel se sont ouverts, comme pour un grand tremblement de terre, et le vent et les éclairs effrayaient par leur force. Les tambours représentent cette grande tempête. Ces tambours jouent pendant 24h, parce que la plupart des traditions espagnoles sont issues de la religion, toutes les coutumes, les légendes, sont reliées au christianisme. 99%. Et les tambours, c’est ça, c’est le son de la mort de Dieu. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus que ça. C’est un mélange entre le catholicisme et le paganisme. C’est une communion, un moment où tout le monde fait pareil. Pour faire la révolution, vous ne pouvez être seul, il faut faire masse. Et le sentiment d’être des milliers de personne dans un même petit village, ensemble, c’est très émouvant car c’est connecté au passé, à la famille, aux ancêtres, mais aussi ça vous connecte ensemble au présent. Vous êtes ici à faire ceci et cela. Et dans les films de Buñuel, les tambours de Calanda sont présents, d’une part parce que ces sons sont magnifiques mais aussi, parce qu’ils vous relient avec votre intériorité. Il pensait également que c’était une façon d’exporter sa culture dans le monde entier. Car l’avant-garde, n’est pas ce que vous faites maintenant, mais comment vous amenez votre passé dans le présent. Et parce qu’il était extrêmement intelligent, cette culture du passé, cet héritage de la tradition pouvait être vraiment moderne, avant-gardiste. C’est une sorte de catharsis collective, reliée à la religion et à la tradition avec une connexion païenne.

DCH : Pourquoi n’y a-t-il que des femmes dans Sonoma ?

Marcos Mauro : Je voulais faire une pièce pour les femmes depuis longtemps, et dans ma compagnie, il y’a toujours eu plus de femmes que d’hommes. Je souhaitais faire une pièce avec des femmes car s’il y avait une révolution actuellement, elle serait faite par les femmes. Heureusement, nous sommes presque arrivés à une égalité. Mais les révolutions sont là pour questionner ce qui est injuste. Et il est juste que les femmes fassent une révolution de nos jours. Pour Sonoma j’avais envie de retrouver d’anciennes danseuses, et les ramener sur scène. Elles n’étaient ni dans Voronia ni dans Pasionaria, parce qu’elles avaient décidé d’avoir un enfant et d’arrêter de danser. Et maintenant elles reviennent, plus fortes que jamais, et je suis très heureux d’avoir réuni cette essence de La Veronal dans la Cour d’Honneur. Et vous pouvez sentir, grâce à ces femmes de 29 à 43 ans, différentes générations qui ont le même but. Je trouve que c’est très beau.

DCH : Sonoma est une sorte de révolution pour vous ?

Marcos Mauro : Oui. C’est un grand mot. Pour les français, la révolution est une sorte de langue maternelle. Grâce à la Révolution française, beaucoup de choses ont changé en Europe. La révolution flotte dans Sonoma, la rébellion, l’idée d’être contre l’ordre établi, le cérémonial, parce qu’aujourd’hui les danseurs pensent, parlent beaucoup, dansent, obsédés par l’idée d’avoir la force de changer quelque chose, dont on ne sait pas ce que c’est. On ne sait pas pourquoi ils se battent, cependant vous sentez qu’ils sont ensemble pour ouvrir la prochaine porte. 

Maintenant, au XXIe siècle il n’y a pas de révolution. Les gens sont seuls, chez eux, à réfléchir à leurs propres problèmes, bien loin d’une idée du collectif qui présidait autrefois. Vous pouvez descendre dans la rue et manifester, mais à la fin, vous rentrez chez vous et vous êtes seuls.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Festival d’Avignon IN, du 21 au 25 juillet à 22h. Cour d’Honneur du Palais des Papes. 

Sonoma de Marcos Morau : le 8 octobre à 21h et 9 octobre à 20h au Pavillon Noir d'Aix-en-Provence

 

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