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Entretien avec Fouad Boussouf

Il lance ce mois la première édition de son festival Plein Phare. L’occasion de revenir sur son arrivée et sa première saison à la tête du Centre chorégraphique national du Havre Normandie. Entretien avec le chorégraphe Fouad Boussouf.

Danser Canal Historique : En juin 2021, vous avez été nommé directeur du Phare, le CCN du Havre. Pourquoi avoir candidaté à ce poste ?

Fouad Boussouf : Depuis longtemps, mon travail de chorégraphe est en connexion étroite avec les territoires et les publics. Ce besoin de lien fait partie de mon ADN, tout comme la collaboration avec d’autres disciplines tels que les arts visuels. La découverte du Havre, avec son extraordinaire potentiel spatial, humain et architectural, a décuplé et amplifié cette dynamique personnelle. J’ai choisi de postuler à la direction du centre chorégraphique parce que cette ville est pour moi une formidable source d’inspiration artistique. Mon projet « Enchanter le quotidien » s’articule autour des lieux, des espaces publics et des habitants afin de mettre la danse partout et à la portée de tous.

DCH : Comment conjuguez-vous cette nouvelle mission avec votre activité de créateur ?

Fouad Boussouf : Ma nomination est arrivée au moment précis où, dans ma démarche artistique, j’éprouvais le besoin d’aller plus loin. Diriger un centre chorégraphique, c’est disposer d’un outil précieux pour affirmer ses choix. Les miens, en tant que chorégraphe, sont ceux d’une danse que j’ai éprouvée dans mon corps : comme pour de nombreux artistes de ma génération, elle est ancrée dans le hip hop tout en ayant intégré des styles différents, académique ou contemporain, et d’autres formes de mouvement. Ma première formation, ce fut ainsi des cours de danse jazz et d’art du cirque. Mon parcours atypique – avec ma pratique d’interprète, mes activités d’enseignement, mes études en sciences sociales – , le fait d’être né à l’étranger puis celui d’avoir grandi dans une petite ville de province en Champagne - Ardennes, entrent en jeu dans mon rapport au monde, et impactent mon écriture au plateau. Aujourd’hui, j’ai envie de pousser encore cette hybridité, au sens noble du terme et diriger un CCN renforce mes convictions. Cela me pousse à aller au bout de mes envies et à les partager avec le plus grand nombre.

DCH : De quels moyens dispose le CCN Le Havre Normandie ?

Fouad Boussouf : En matière de budget, c’est le plus petit de France, ce qui constituait d’ailleurs pour moi un challenge inconscient au moment de candidater ! En matière d’équipement, nous avons un grand studio-scène de 131 places permettant d’accueillir les compagnies en résidence, et un petit studio de répétition de 200 m. Nous pouvons aussi compter sur une équipe super que j’ai consolidée depuis un an en ne recrutant que sur place, dans la volonté de m’adapter au territoire. Actuellement, onze personnes travaillent au CCN, un nombre qui devrait s’agrandir prochainement. Dans les années à venir, nous serons peut-être confrontés à un problème de locaux mais je fais confiance aux équipes et aux partenaires pour trouver une solution. Je suis convaincu qu’avec un beau projet et de bons collaborateurs, on peut faire changer les choses ! Malgré le climat actuel quelque peu déprimant, je demeure résolument optimiste. En outre, la ville du Havre évolue beaucoup, plusieurs belles initiatives sont en train de voir le jour : c’est le moment idéal pour que Le Phare rayonne !

DCH : Dans ce dispositif, quelle place tient votre nouveau festival, Plein Phare ?

Fouad Boussouf : Il fait partie intrinsèque de mon projet pour le CCN. Nous avons lancé cette manifestation en novembre parce que c’est un mois sombre, où les journées raccourcissent, et que nous voulions allumer la lumière sur la danse, l’éclairer, la rendre partout visible. Le public du Havre et de la région Normandie va pouvoir rencontrer une large palette d’esthétiques et de formes. Au côté d’artistes reconnus, nous laissons une place aux émergents pour que les professionnels viennent les découvrir, ce qui répond pleinement à la mission de soutien et d’accompagnement d’un CCN.

DCH : Quels en sont les temps forts ?

Fouad Boussouf : D’abord, le fait de montrer des créations (Âmes et Cordes de Fouad Boussouf, L’Homme et la mer de Julien Boclé, lire notre avant-première). Ensuite, tout en accueillant l’Irlandaise Oona Doherty avec Navy Blue (lire notre critique) ou le duo des Italiens Alice Carrino et Cristian Cucco (Delicious Overdose), Plein Phare met en avant des artistes locaux comme Claire Laureau et Nicolas Chaigneau, pour leur pièce Dernière à l’écriture très fine et mâtinée de burlesque, ainsi que notre artiste associée la Guyannaise Johana Malédon, qui présente avec sa compagnie Mâle la pièce À Bientôt. Enfin, nous avons eu à cœur de programmer des soirées festives participatives où le public est convié à danser, y compris en famille. Vous êtes tous les bienvenus !


DCH : Beaucoup de propositions vont à la rencontre des publics les plus divers…

Fouad Boussouf : Oui, c’est l’une de nos missions essentielles. Se rencontrer, se voir, échanger est pour moi une nécessité absolue. Nous avons par exemple été sollicités par Le Volcan, la scène nationale du Havre, pour participer au projet Culture et justice avec les détenus du Centre pénitentiaire du Havre, à Saint-Aubin-Routot. Pour avoir mené auparavant des ateliers à la prison de Bois-d’Arcy en région parisienne, je sais que ce type d’expérience offre des rencontres uniques. Ainsi, non seulement nous proposerons durant une semaine des ateliers de danse, conduits par Justin Gouin, mais nous donnerons sur place le 18 novembre, en ouverture du festival, une représentation de mon duo YËS interprété par Yanice Djae et Sébastien Vague. Nous sommes aussi en contact régulier avec des associations locales de la ville haute, afin d’imaginer ensemble des passerelles avec les populations qui ne sont pas forcément habituées à se rendre dans une salle de spectacle.

DCH : Le festival est soutenu par plusieurs partenaires locaux ?

Fouad Boussouf : Ils sont onze, ce qui pour une première année est déjà un vrai challenge. Nous allons, en quelque sorte, danser chez eux, qu’il s’agisse du Conservatoire Arthur Honegger, du Muma, du Musée d’Art Moderne ou du Volcan. L’an prochain, nous avons prévu de nous rendre aussi dans des communes plus éloignées afin de permettre aux zones rurales d’avoir, comme en ville, accès à la danse, à la culture et à l’art. C’est exactement le genre de projet un peu fou qui me motive ! Par ailleurs, je suis très sensible à la poésie des corps. Toutes mes chorégraphies reposent sur un texte et je collabore régulièrement avec un dramaturge. Or Le Havre compte onze médiathèques, fédérées sous le label Lire au Havre. En nous appuyant sur ce réseau, nous envisageons prochainement plusieurs rendez-vous pour donner du corps au texte. Un poème, c’est déjà en soi de la musique, une musique qui aborde généralement des thématiques universelles. Mettre des poèmes en danse, c’est les rendre accessible à tous, et faire par exemple le pont avec les publics scolaires.

DCH : Souhaitez-vous collaborer aussi avec les arts visuels ?

Fouad Boussouf : C’est effectivement un domaine qui m’intéresse. Actuellement, je participe au Petit Palais à Paris à l’installation vidéo burn to shine créée par le plasticien Ugo Rondinone pour l’ouverture de la foire Paris + (jusqu’au 8 janvier 2023), et en 2018, j’ai travaillé avec Kader Attia au MAC VAL de Vitry (94). Le Havre est une ville où l’empreinte de l’art contemporain, de la peinture et de l’architecture est très forte. Nous allons collaborer avec les représentants de ces disciplines, notamment dans le cadre de la manifestation annuelle Un Eté au Havre. L’espace public est par excellence le lieu où l’on se rencontre, où l’on se voit. L’investir, en mettant en mouvement par la danse des œuvres plastiques statiques, ou en imaginant des actions autour du mobilier urbain, ici très présent, c’est exactement enchanter le quotidien.
 

DCH : Comment à l’avenir voyez-vous le rôle de la danse ?

Fouad Boussouf : Tout en gardant sa spécificité technique de langage du corps, elle ne doit plus s’enfermer sur elle-même mais aller encore plus loin vers toutes sortes d’expérimentations, du côté de la musique par exemple, ou en s’autorisant au plateau des configurations insolites. La danse ne doit rien s’interdire. C’est comme cela, en tout cas, que je conçois mon rôle d’artiste. Pour cela, elle doit continuer à être soutenue activement –  et les CCN également – par les pouvoirs publics. Malgré toute la bonne volonté dont font preuve les artistes et les dirigeants, il faut demeurer vigilant sur les conditions dans lesquels s’exerce notre métier.

DCH : En tant que chorégraphe, outre vos deux créations pendant le festival, quelle est votre prochaine actualité ?

En avril 2023, je vais créer à l’invitation de Sidi Larbi Cherkaoui la pièce VÏA pour le Ballet de Genève. Et en septembre, je réponds à une commande de la Biennale de danse de Lyon avec une nouvelle production pour onze interprètes, uniquement des femmes !

Propos recueillis par Isabelle Calabre

Festival Plein Phare du 18 novembre au 3 décembre 2022

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