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Entretien avec Elisabeth Platel

Elisabeth Platel, directrice de l’École de danse de l’Opéra de Paris : « Nous avons beaucoup de choses à apprendre des élèves ».

Depuis 2004, elle veille aux destinées des « graines d’étoile » de l’École de Danse de l’Opéra de Paris. Rencontre avec une grande danseuse devenue une pédagogue passionnée.

Danser Canal Historique : Comment concevez-vous votre mission ?

Elisabeth Platel : Comme une mission d’éducation dans tous les sens du terme. D’abord culturelle et artistique, par l’apprentissage d’une discipline, d’un savoir, d’une histoire qui est celle du Ballet de l’Opéra, mais aussi humaine, avec l’acquisition de codes de société et d’un patrimoine très français, nourri de littérature, de théâtre, de musique… Nous avons aussi, bien entendu, un devoir particulier vis-à-vis de l’Opéra de Paris puisque l’École forme ses futurs danseurs. Les professeurs de classique sont tous issus du Ballet et ont à cœur de rendre ce qui nous a été donné.

DCH : Et de transmettre la fameuse école française ?

Elisabeth Platel : Les élèves sont effectivement conscients d’appartenir à une lignée et d’être les maillons d’une chaîne qui remonte à plus de trois siècles. L’école française disciplinée mais avec la folie latine, est un beau mix de diverses influences. Elle n’a peut-être pas la flamboyance des Russes, ni le côté jazzy des Américains, mais elle possède une identité remarquable et une vraie noblesse liée à la profondeur de son histoire. 

DCH : Vous sortez de deux années scolaires troublées par le COVID. Comment les avez-vous traversées ?

Elisabeth Platel : Le premier confinement a produit une coupure très nette : séparés les uns des autres, rentrés dans leurs familles respectives, les élèves se sont rendus compte rétrospectivement ce que leur avait apporté le fait d’être ensemble. Les cours en visio que nous avons mis en place ne compensaient pas l’efficacité du travail de groupe, ni la recherche commune de la perfection au moment de répéter un spectacle, par exemple.

DCH : Combien d’élèves compte actuellement l’École et quelle est leur journée type ?

Elisabeth Platel : Nous avons actuellement 159 enfants de 9 à 18 ans, soit 86 filles et 73 garçons. 94 d’entre eux sont internes, ce nombre diminuant à partir du mois de mai chez les grands élèves. Quant à l’organisation du planning, elle n’a pas changé depuis mon arrivée il y a dix-huit ans. La plage horaire quotidienne réservée à la danse va de 13h30 à 18h30. La matinée, elle, est gérée par un service scolaire qui tout en étant autonome depuis quinze ans, adhère au projet de l’École et obtient par ailleurs de très bons résultats. Sur ce socle solide, les équipes changent mais l’esprit demeure.

DCH : Avez-vous apporté des innovations dans le fonctionnement de l’École ?

Elisabeth Platel : A mon arrivée, suite à un rapport pointant le manque de surveillance physique des élèves, j’ai sollicité les services d’un kiné et d’un nutritionniste qui assurent désormais des permanences hebdomadaires régulières sur place. Nous avons également doublé le budget dévolu à l’infirmerie, afin de disposer d’un poste à plein temps, et mis en place une consultation par un médecin du sport deux fois par semaine. Par ailleurs, dès mon arrivée à l’École, j’ai instauré des Portes ouvertes une fois par an, afin d’accueillir les parents.

DCH : Les enfants d’aujourd’hui sont-ils très différents de ceux d’il y a vingt ans ?

Elisabeth Platel : Selon les générations, ils sont plus ou moins rebelles ou disciplinés mais dans l’ensemble, ils sont bien de leur temps, avec ce que ça implique quant à l’utilisation des portables ou des réseaux sociaux. Concernant les premiers, le règlement les autorise le matin avant les cours, à la récréation et en fin de journée après l’étude. Pour les seconds, une réflexion est en cours afin d’en limiter les effets dangereux. Ceux qui ont le plus changé sont en fait les parents, qui se montrent très inquiets pour l’avenir de leurs enfants. Ils ont du mal à accepter qu’on les évalue de manière professionnelle et qu’on ne puisse pas leur garantir absolument un métier et un avenir.

Galerie photo © Agathe Poupeney

DCH : Quelles sont les voies d’accès à l’École ?

Elisabeth Platel : Il existe deux concours : le premier, destiné aux 8-11 ans, a lieu en novembre et ouvre un recrutement à l’essai de six mois de janvier à juin. En 2021, sur les 200 candidats, nous avons retenu 14 filles et 10 garçons dont une quinzaine sera finalement autorisée à poursuivre sa scolarité à l’École. Les 11 - 13 ans, eux, passent un concours en mai ouvrant une période d’essai d’un an à partir de la rentrée de septembre. Pour l’an prochain, 5 filles et 4 garçons ont été sélectionnés. Quant aux plus de 13 ans, ils ont la possibilité de passer des auditions privées pour bénéficier d’un stage d’un an. Ce fut par exemple le cas de Marion Barbeau (aujourd’hui première danseuse et vedette du film En Corps, de Cédric Klapisch). 

DCH : D’où viennent en général les élèves ? 

Elisabeth Platel : L’École connaît une attractivité croissante, que ce soit d’ailleurs pour la scolarité à l’année ou pour le traditionnel stage d’été (1). Nous avons actuellement des enfants et adolescents venus d’Europe (Espagne, Italie, Belgique, Roumanie) mais aussi de Russie ou d’Ukraine, pour lesquels nous mettons en place un apprentissage spécifique du français langue étrangère. En raison de l’éloignement, ils ne peuvent rejoindre leur pays que durant les vacances scolaires donc nous leur trouvons une famille d’accueil pour les week-ends. L’équipement (tenue, chaussons) est fourni à chaque élève et l’internat est payant pour tous, avec des systèmes de bourse. 

DCH : Les critères de recrutement ont-ils évolué ?

Elisabeth Platel : Plutôt que de critères, on préfère aujourd’hui parler d’une « aptitude artistique adaptée à la pratique de la danse à haut niveau en vue de la professionnalisation ». Les mentions de poids et de taille, notamment celle des parents, ont disparu, mais avoir le bassin ouvert et des pieds capables de monter sur demi pointes pour faire les pirouettes demeure indispensable. Outre l’aspect technique, on recherche aussi des enfants actifs, montrant déjà une certaine personnalité.  

DCH : Comment se déroule leur cursus ?

Elisabeth Platel : Les six divisions filles et les six divisions garçons comptent chacune entre dix et quinze élèves. Lors des examens de fin d’année permettant de passer au niveau supérieur, le taux d’échec oscille entre zéro et trois. En fin de cycle, les 10 filles et les 10 garçons de première division se présentent au concours d’entrée dans le corps de Ballet, pour un nombre de places variant selon les années de deux à huit. S’ils échouent le jour J, ils ont la possibilité de tenter le lendemain l’audition externe. Et lorsqu’ils ont moins de 18 ans, nous pouvons encore les reprendre pour une année à l’École même s’ils ont déjà leur bac. Ils sont alors dispensés de scolarité sur place et inscrits à l’Université. 

DCH : Quels types de cours reçoivent-ils ? 

Elisabeth Platel : Outre le socle de danse classique, le programme comprend des cours de danse contemporaine, de folklore, de baroque, de mime, de danse de caractère, de musique et d’expression musicale, de théâtre, de danse jazz et de gymnastique répartis différemment selon les divisions. Il y a aussi, pour les plus âgés, des modules d’enseignement en histoire de la danse, en anatomie, en nutrition et en droit du spectacle. 

DCH : Y a -t-il des projets ou changements que vous souhaitez mettre en œuvre ? 

Elisabeth Platel : Après ces deux années de débrouille dues au COVID, il nous revient de continuer à développer et améliorer l’autonomie des élèves. Ces derniers font preuve d’un solide esprit de cohésion, ont une imagination débordante –  pour la fête annuelle, ils avaient conçu un méga escape gamedans les locaux de l’École et loué une machine à barbe à papa ! – et j’ai le sentiment que nous avons encore plein de choses à apprendre d’eux. Cela passe par le fait de les écouter, de les regarder grandir mais aussi de leur apporter le goût du risque et du plaisir. Quelle que soit l’issue de leur scolarité, le but n’est pas d’être à tout prix des clones mais devenir soi-même. La voie est droite mais large, à chacun de trouver son chemin.

Propos recueillis par Isabelle Calabre.

NB : Le stage d’été 2022 se tient du 4 au 16 juillet avec au menu, comme à l’accoutumée, l’ensemble des cours dispensés durant la scolarité à l’École. 

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