Entretien avec Anna Halprin
Notre journaliste Philippe Verrièle a rencontré Anna Halprin dans des circonstances bien particulières et nous a restitué l’entretien que voici …
En 2006, Le Musée d'Art Contemporain de Lyon organisait, sous le commissariat de Jacqueline Caux, une passionnante rétrospective intitulée A l'Origine de la performance. Anna Halprin, âgée de 86 ans avait fait le voyage. J'étais invité à visiter cette exposition en dehors des heures d'ouvertures et m'en délectais quand une des responsables du musée m'interrompt et me demande si je veux rencontrer la chorégraphe ! Nous avons passé près de deux heures à parler de la place qu'elle occupait dans l’aventure de la danse moderne aux Etats-Unis. Cet interview, publié initialement en italien dans la revue Danza y Danza dans une forme plus brève, est inédit en Français.
Danser canal historique : Est-ce que l’on peut considérer que vous avez créé une école ?
Anna Halprin : Non. Pour moi, j’avais à trouver ma propre voie parce je ne voulais pas ressembler aux autres et à leur style de mouvement. Je n’avais pas envie de danser les choses qui étaient dansées.
DCH : Il y a une très grande différence entre ce que vous avez fait et ce que d’autres grandes personnalités de la danse moderne ont proposé, comme Martha Graham, par exemple. Pourquoi y a-t-il eu un tel fossé entre vos approches de la danse ?
Anna Halprin : Le mouvement est un médium. C’est comme le peintre quand il veut peindre, il ne cherche pas à imiter un autre peintre. Picasso ne voulait pas imiter. Je ne voulais pas imiter Martha Graham ni dans ce qu’elle faisait ni dans sa façon d’enseigner. Je voulais que le mouvement ait des bases plus objectives. Et donc j’ai étudié le mouvement et non le mouvement de Martha Graham. Les résultats ont été très différents. Parce j'étais différente.
DCH : Est-il juste de dire qu’il y a une façon de danser spécifique à Anna Halprin ?
Anna Halprin : Je ne sais pas [grand rire]
DCH : Si je vous dis que vous avez apporté une part importante de la modernité de la danse aux Etats-Unis, êtes-vous d’accord ?
Anna Halprin : Oui. Je pense que mon approche du mouvement a influencé Simone Forti, Trisha Brown, Meredith Monk, et beaucoup d’autres. Ma personnalité non, mais mon approche de la danse leur a donné la liberté d’être vraiment créatifs et de trouver leur propre chemin. Dans ce sens, vous pouvez dire que j’ai eu une influence, mais ce n’est pas en les conduisant à danser comme moi.
DCH : Pourquoi votre façon d’enseigner a été si importante pour les artistes de la Judson ?
Anna Halprin : Parce que je leur ai permis de développer leur créativité. Pas la mienne. Mon but dans l’enseignement était de rendre leur créativité à mes étudiants. C’est ce que j’ai fait. Je ne leur ai pas appris un style, j’ai choisi des voies dans lesquelles ils ont travaillé et c’est ce qu’ils ont emmené à la Judson.
Mais je n’étais pas à New York et je ne suis jamais allée au Judson Theatre. Ce sont les personnes avec qui j’ai travaillé, Simone (Forti) et Robert (Morris), qui y sont allées.
Je ne suis pas sûre d’avoir influencé quelqu’un et je n’ai été influencée par personne.
DCH : Sally Banes explique, à la fin de son livre Terpsichore en Basket, que Trisha Brown ou Lucinda Childs avaient tellement développé le principe des « task » que vous aviez élaborés, que les œuvres en ont changé de nature. Qu’en pensez-vous ?
Anna Halprin : Je n’ai jamais su vraiment ce qu’était ce que l’on appelait Task ou Mouvement orienté. Je parlais de "Mouvements ordinaires" ou "Mouvement naturel". Parce que je voulais développer quelque chose qui soit plus en relation avec les gens. On peut styliser les « task », mais on ne peut pas les regarder comme naturels ou ordinaires. Il faut se demander comment les utiliser dans le temps, dans l’espace, dans les relations avec les autres personnes. Je ne les ai jamais utilisés comme des éléments abstraits. Si vous bougez pour prendre cet objet, c’est un mouvement naturel. Mais si vous le faites pour exprimer que vous êtes en train de le prendre vous ne le faites plus d’une façon normale. Vous allez le faire très lentement. Par exemple, la première partie de Parades and Changes, quand les artistes se déshabillent et s’habillent, je ne voulais pas que cela soit comme une cérémonie. Je pense que la Judson… Mais je ne connais pas assez bien pour vraiment en parler.
Je pense qu’avec le mouvement, vous devez toujours faire attention à la qualité. C’est à dire au sentiment derrière le mouvement, à l’émotion du contenu. Le mouvement a un feeback.
DCH : Dans l’exposition, il y a une photo de Tanaka Min. Le Butô a-t-il eu une influence sur votre travail ?
Anna Halprin : Non. J’aime beaucoup Min. Mon mari travaillait au Japon et son interprète était l’amie de Min Tanaka. Quand elle est venue à San Francisco, Min était avec elle et nous avons dansé ensemble. Il est très fort et beaucoup des gens qui travaillaient avec moi ont aussi travaillé avec lui.
DCH : Après la photo de Tanaka Min, il y a beaucoup d’images de « land art dance ». Est-ce le résultat de l’influence du Butô ?
Anna Halprin : Non. Je danse et je travaille dans la nature depuis que je suis enfant. J’ai grandi à la campagne et mon mari est un architecte de paysage.
DCH : Mais vous vous sentez proche du mouvement du Land art ?
Anna Halprin : Oui. Mais je ne réfléchis pas en catégorie artistique. Je ne l’ai jamais fait. L’art de la danse est un art ancien qui s’est toujours passé dehors. Ce que je fais est très ancien et je le fais depuis très longtemps.
Propos recueillis par Philippe Verrièle (mars 2006)
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