Entretien avec Agnès Letestu
Agnès Letestu, danseuse étoile, continue sa carrière après avoir quitté l’’Opéra de Paris en 2013. Carrière riche et multiple car l’étoile, outre la danse, a plusieurs cordes à son arc. Notamment un don de costumière, mais aussi de répétitrice. Cette fois, on la découvre non seulement danseuse, mais aussi metteuse en scène et organisatrice d’une soirée qui mêle harmonieusement musique et danse, intitulée : Le Do(s) transfiguré.
Dans ce spectacle aussi délicat que ses auteures, tout part du do(s). Celui, en mineur, de la Fantaisie BWV 906 de Johann-Sebastian Bach interprétée au piano par Edna Stern, et ceux, ô combien expressifs, des danseurs Agnès Letestu, qui fut l’une des plus belles étoiles de l’Opéra de Paris, et Rupert Pennefather, ancien principal du Royal Ballet de Londres. Ces derniers interprètent, en solo ou en duo, une série de pièces courtes sur un fil musical cheminant de Scriabine à Marc-Olivier Dupin, en passant par Chopin et Debussy.
DCH : D’où est venue cette idée du Do(s) transfiguré ?
Agnès Letestu : Au départ c’est une commande du Festival du Luberon, un événement musical, passée à Edna Stern, la pianiste de ce spectacle. C’est elle qui a suggéré que ce soit avec moi. En fait, nous nous étions déjà rencontrées à travers Bruno Bouché qui l’avait sollicitée pour un spectacle…
Nous avions beaucoup parlé de Baldassare Galuppi, un compositeur vénitien du XVIIIe siècle, peu connu. Bruno avait envie de chorégraphier sur cette partition, et c’est ainsi que s’est nouée cette complicité. Donc, pour le Festival du Luberon, Edna souhaitait montrer un spectacle musique et danse avec une logique musicale, pour arriver à un tressage, un programme cohérent, avec des enchaînements fluides entre les morceaux et la danse. Personnellement, j’avais envie d’aborder ma carrière de façon différente, nouvelle, davantage comme une femme qui danse que comme une ballerine. Nous avons donc commencé à réfléchir à une forme de suite qui équilibrerait le piano et la danse dans une forme de trame non narrative. Et nous nous sommes aperçues que, dans nos choix musicaux, tout était en « Do ». D’où le Do(s) transfiguré ! C’est un jeu de mot, mais c’est aussi le centre du danseur. Le dos est le point capital d’où rayonne le mouvement, qu’il s’agisse d’une pièce contemporaine ou classique.
DCH : Comment s’articule ce spectacle ?
Agnès Letestu : Nous sommes trois, Edna Stern, Rupert Pennefather, Principal au Royal Ballet, et moi.
Edna Stern, la pianiste, est présente du début à la fin sur scène, sans pause ni entracte. Il n’y a aucun décor, juste des lumières très travaillées. C’est donc la musique qui sert de fil conducteur à la représentation. Les séquences alternent piano seul et piano et danse. La musique est moteur, c’est elle qui lance le spectacle qui commence et finit sur Bach. La pièce musicale qui précède la chorégraphie donne l’ambiance, l’atmosphère et introduit la pièce chorégraphique qui suit. Nous commençons avec la Fantaisie en do mineur de Bach et nous enchainons avec mon solo chorégraphié par Bruno Bouché sur la Sonate en do mineur de Galuppi et intitulé Une voix dans la nuit.
Le Do(s) transfiguré © Alice Pennefather
Ensuite, Edna interprète Waterpiano de Berio et on enchaîne de l’eau à la brume avec Dans le brouillard de Janacek, un solo créé pour Rupert Pennefather, chorégraphié par Yvon Demol. Un jeune chorégraphe que j’ai repéré à l’Opéra de Paris.
Puis nous passons à une ambiance plus chaude avec Chopin, notamment avec la Ballade et un pas de deux de La Dame aux Camélias de Neumeier, Nocturne, une pièce de Florent Mélac créée pour moi que j’aime beaucoup, et un programme Debussy au piano, avant de retrouver un extrait des Enfants du Paradis de José Martinez. J’ai souhaité le redanser car c’est un ballet auquel je tiens beaucoup, au niveau théâtral, et c’est un des premiers grands ballets dont j’ai créé les costumes.
Le Do(s) transfiguré © Alice Pennefather
Nous finissons avec du Bach au piano… Et ensuite, pour le bis, j’ai demandé une chorégraphie à Jean-Claude Gallotta, totalement différente, très légère… J’avais envie de conclure sur du ludique, comme l’est le Golliwog’s cake walk de Debussy.
Le Do(s) transfiguré © Alice Pennefather
DCH : C’est une commande que vous avez passée à Jean-Claude Gallotta ?
Agnès Letestu : Oui, nous avions déjà travaillé ensemble sur les Variations d’Ulysse, et sur un événement pour l’ouverture d’une salle à Grenoble. En discutant de ce nouveau projet avec lui, il a répondu avec 10 000 idées, il est très généreux et a tout de suite été dans l’esprit de ce « Finale ». D’ailleurs toutes les pièces qui composent ce spectacle sont des commandes, mis à part Les Enfants du Paradis. Et tous les costumes sont de moi… Même la robe de la pianiste.
DCH : Vous poursuivez donc votre carrière de costumière…
Agnès Letestu : Oui, bien sûr. En ce moment j’ai un projet avec le Japon dans le cadre des manifestations culturelles qui entourent les J.O. qui se dérouleront à Tokyo. Dans cette perspective d’échanges culturels, je travaille avec les usines de tissu de Fujiyoshida, une ville spécialisée dans le vers à soie, très réputée, très connue. Un peu comme Lyon en France. Ils ont élargi leur technicité en matière de tissus et, ont demandé qu’on invente de nouveaux costumes. Ils seront exposés en février 2019 à la Maison du Japon et ensuite à Fujiyoshida et certains d’entre eux seront portés sur scène. En fait, c’est une démarche inversée. Généralement, je crée mes dessins, puis je choisis mes matériaux. Cette fois, ce sont les tissus qui commandent et déterminent le costume. Certains sont assez imposants, extravagants, et ne pourront être portés sur scène. Donc le thème de l’exposition a été modifié en fonction des échanges, et s’appelle Oiseaux fantastiques.
DCH : Comment organisez-vous vos journées avec toutes ses activités ?
Agnès Letestu : Le matin je travaille pour moi, ensuite je monte mes costumes sur mon mannequin, et j’enchaîne avec les vidéos pour faire travailler les étoiles de l’Opéra sur La Dame aux Camélias. Je surfe sur mes trois métiers et ça me plaît beaucoup de passer d’un domaine à l’autre. Je fais ça depuis longtemps, les choses s’enchaînent et s’harmonisent de manière joyeuse. Par contre, depuis que j’ai quitté l’Opéra, j’apprécie énormément ma liberté, je partage mon temps comme je veux.
Propos recueillis par Agnès Izrine
Théâtre de Suresnes Jean-Vilar, dimanche 2 décembre à 17h.
16 place Stalingrad 92150 Suresnes
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