Emmanuelle Laborit : « Dévaste-moi »
Avec Dévaste-moi, Emmanuelle Laborit donne ses lettres de noblesse à l’art de chansigner. Au festival Mimos, elle ajoute un morceau inédit à son récital gestuel et musical.
« J’ai une voix particulière, voilà tout », dit Emmanuelle Laborit. Dans Dévaste-Moi, son concert chansigné, créé en collaboration avec le chorégraphe Yan Raballand, la directrice de l’International Visual Theater interprète les chansons en langue des signes : Brigitte Fontaine, Juliette, Beyoncé, Donna Summer, Amy Winehouse et tant d’autres. Des femmes avant tout (mais aussi Vian, Gainsbourg ou Bashung), et de toutes les époques. Carmen, aussi... Certes sourde mais d’autant plus éloquente, Laborit entend donner à entendre le rapport des femmes à la liberté, au corps, au plaisir et à l’amour.
Qu’est-ce que chansigner ? Dans Dévaste-moi, les cinq musiciens du Delano Orchestra jouent leurs propres arrangements pendant que les textes sont projetés en fond de scène. Et Laborit fait chanter son corps, à partir des mains et de la langue des signes. On sait l’implication d’une véritable écriture pour le corps dans chaque conversation signée en LSF (Langue des Signes Française). Mais la recherche de Laborit avec le chorégraphe Yan Raballand a ouvert une dimension plus dansée que jamais au spectacle chansigné.
« Dévaste-moi » définit le concert chorégraphique
Le concert chorégraphique, forme de collaboration entre artistes de la danse et ceux de la musique, a le vent en poupe. Mais les deux arts s’y saluent généralement avec politesse ou même avec passion, tout en gardant leurs distances. Laborit, elle, prend la place de la chanteuse, dans son dialogue ludique et ironique avec les musiciens. Sans les entendre, mais en les comprenant. Leur complicité va bien plus loin qu’entre danseurs et musiciens dans une production de tel ou tel CCN.
On comprend enfin ce que « concert chorégraphique » veut vraiment dire, car ici les corps dansant et chantant ne font qu’un. S’y ajoute la complicité des arts du mime, avec sa tonalité et sa poétique singulières. Chaque geste a valeur de syntagme, autant dans le texte que dans une phrase chorégraphique.
Une Laborit peut en cacher une autre
En changeant de gestus et de costume avec presque chaque chanson interprétée, Laborit évoque tantôt une tragédienne, tantôt une danseuse de chez Pina Bausch ou de la tradition flamenca. Mise en scène par Johanny Bert, elle peut aussi arborer le calme et la sérénité d’un personnage de Raimund Hoghe ou envoyer des clins d’œil aux danseuses de revue.
Dans un passage particulièrement émouvant et personnel, créé spécialement au festival Mimos 2018, elle revient sur sa propre histoire avec la musique et les raisons pour lesquelles nous la voyons chansigner, alors qu’elle n’entend pas la musique et n’a qu’une vague idée de ses effets. C’est en effet son oncle qui, un jour, fit mordre la jeune Emmanuelle dans le manche de sa guitare électrique pour lui faire ressentir les vibrations: « Depuis, j’ai une passion pour la musique », dit-elle. Elle dit aussi: « J’ai une voix particulière. » Celle des mains... Et de revenir en rockeuse, pour chanter le « tango de la ménopause » de Brigitte Fontaine...
Thomas Hahn
Spectacle vu le 24 juillet 2018. L’Odyssée, scène conventionnée de Périgueux, 36e édition de Mimos, festival international des arts du mime et du geste.
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