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Emmanuel Eggermont, une « Elégie pour Raimund Hoghe »

Créé en clôture des Rencontres chorégraphiques, About Love and Death  saisit le langage de Hoghe dans sa dimension universelle.

La vie, l’amour et la mort : rien de plus classique, de plus universel. Chaque œuvre de Raimund Hoghe (1949-2021) allait au cœur de ces thèmes fondateurs, sans détour et dans la plus grande sincérité. En créant About Love and Death, Emmanuel Eggermont en creuse l’âme et l’essence, seul en scène mais comme en conversation avec Hoghe.

Chaque pièce de Hoghe valait déclaration d’amour, à ses interprètes comme à la musique. Et bien sûr, au public. Mais il était aussi traversé par la mémoire d’une mort dont il disait qu’elle aurait pu l’attraper sous forme de déportation s’il était venu au monde quelques années plut tôt, sous régime nazi, en raison de sa malformation dorsale. Et il portait une attention particulière aux êtres marginalisés ou tombés en oubli, de Maria Callas à Eyal, l’enfant migrant, échoué mort sur une plage. Avec son sens de la tragédie, il s’identifiait aux ostracisés, aussi parce qu’il fut longtemps plus apprécié en France qu’en son propre pays, à l’instar de Pina Bausch dont il fut le dramaturge de 1980 à 1989 : Bandoneon, Walzer, Nelken….

Rigueur et émotion

Oui, Raimund Hoghe était l’émotion faite homme. Et parfois il y allait un peu fort. Et non, Emmanuel Eggermont ne s’identifie pas forcément à ce romantisme contemporain. Ayant déjà crée une œuvre riche et personnelle, Eggermont n’est pas une réplique de Hoghe. Plutôt son écho. Il a vécu cette danse-là dans sa chair et en son cœur. Pendant quinze ans les deux ont travaillé ensemble, de la création de Young People, Old Voices  à L’après-midi, quasiment un solo pour Eggermont où seul Hoghe le rejoignait sur scène. En passant par Musiques et mots pour Emmanuel et Quand je meurs, laissez le balcon ouvert. C’était pour Bagouet, et aujourd’hui pour Hoghe, et le balcon, c’est peut-être celui qu’on trouve dans les théâtres à l’italienne : En allemand, Balkon désigne la corbeille.

On retrouve, depuis longtemps, dans le corps d’Eggermont, dans ses postures et poses, parfois angulaires, puis très fluides, une multitude des résonances du vocabulaire de Raimund Hoghe. About Love and Death en regorge. On y retrouve des ambiances, des postures, des gestes : Le Faune, le cygne… Les escarpins noirs, la couverture de survie, le sable versé au sol, tel jupon, tel chapeau à l’allure de couronne noire… Mais surtout, cette façon de lier précision formelle et chaleur émotionnelle chez le chorégraphe qui était entré dans la danse par le journalisme – d’où sa rigueur ? – et qui, après son passage chez Pina Bausch, a tant fait pour rétablir le droit à l’émotion et la beauté, la sensibilité et un brin de kitsch (porté par une immense sincérité) sur les scènes de danse.

Filiation chorégraphique

Eggermont se laisse traverser par l’œuvre de Hoghe comme jadis Kazuo Ohno (que Hoghe appréciait tant) par La Argentina, danseuse de flamenco. Mais Eggermont s’approprie les motifs et sentiments, sans pour autant créer une « pièce à la Hoghe » qui serait prisonnière d’une filiation mal assumée. La dimension élégiaque d’About Love and Death  se situe, à bon escient, dans une relation de père en fils spirituels, où le fils met à plat l’héritage reçu pour mieux voler de ses propres ailes artistiques. Dans la position du fils, il s’agit autant de déconstruire le père (sans le tuer) que de tracer son propre chemin. Ceci dit, ce chemin, Eggermont l’a suivi depuis longtemps. Et c’est ce qui lui donne toute sa liberté dans l’approche de l’univers de Hoghe dont il est en position d’offrir, mieux que quiconque, un large éventail de reflets. 

Dans ce solo est-il donc en train de se confondre avec Hoghe ? Devient-il une sorte de Raimanuel Eggermund ? Au contraire, en déplaçant et réagençant certains éléments iconiques, en les combinant avec ses propres concepts, il fait valoir son authenticité, laissant les gestes et accessoires que nous connaissons de certaines créations de Hoghe agir sur lui tel un révélateur photographique. Eggermont prend ici ses distances avec l’idée de l’hommage, déjà rendu en 2021, en plein sentiment de deuil, quand il créa An evening with Raimund, qui réunissait neuf interprètes ayant partagé l’univers de Hoghe.

Une grammaire du geste

Ce solo atteint autre chose, et c’est là l’essentiel. About Love and Death révèle que l’écriture de Hoghe construit une vraie grammaire du corps et du geste, à partir d’une pesanteur du corps qui se situe près de la gravité du monde. Plus qu’un style donc, et pratiquement un langage qui permet de s’exprimer librement et d’écrire ses pensées et sentiments, non comme un phénomène esthétique, mais pour ouvrir la voie vers une vérité intérieure.

Non seulement la danse de Hoghe résonne en Eggermont et à travers son corps, mais elle pourrait inspirer une génération de chorégraphes, rappelant la beauté d’une approche chorégraphique qui résonne avec les sentiments les plus sincères. « Il faut continuer la route. Mais non telle qu’il l’aurait suivie, mais telle que je veux la faire », dit Eggermont à Agnès Izrine [lire son entretien]. Et se réfère, entre souvenirs et avenir, aux composantes de l’univers hoghien comme des « Légo ». Ce qui peut mener loin, puisqu’il paraît qu’il n’y a rien qu’on ne puisse construire avec les petites briques au succès mondial.

Thomas Hahn

Rencontres chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis, L’Echangeur de Bagnolet, le 15 juin 2024

About Love and Death – Elégie pour Raimund Hoghe
Chorégraphie et interprétation : Emmanuel Eggermont
Collaboration artistique :  Jihyé Jung
Création lumière : Alice Dussart

 

 

 

 

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