Divas flamencas
Le finissage de la 30e édition du festival flamenco de Nîmes nous a régalé avec ce qui se fait de mieux en matière de cante, de toque et de baile : Mayte Martín, Rafael Riqueni, Rocío Molina et Israel Galván.
Nous avions déjà traité de L’Amour sorcier dans la version galvanisée découverte à Charleroi (lire notre critique). Ce spectacle, plus déstructuré encore en deuxième partie, présente, littéralement, des redites comme le playback mixant la voix live de David Lagos avec celle de 78 tours de Pavón ou de La Niña de los Peines et l’usage, à deux reprises au lieu d’une, d’un voile dansant la serpentine, animé par ventilateur, symbolisant la sorcellerie ou suggérant la fameuse danse du feu ; Galván a écarté le numéro de thérémine qui ne demandait qu’à être développé ou travaillé.
Fort heureusement, en première partie, sans doute à la demande générale, le chorégraphe a introduit les meilleures pages de l’œuvre de Manuel de Falla, interprétées sur un piano bastringue par Alejandro Rojas-Marcos. Le danseur est revenu sur scène, cette fois-ci en homme, arborant un smoking de gala et chaussé de souliers vernis non ferrés pour une routine de claquettes tout en sourdine.
Mayte Martín, l’une des trois plus grandes cantaoras actuelles (avec Carmen Linares et Gema Caballero, qui figurait d’ailleurs au programme nîmois), était accompagnée du jeune tocaor alicantin Alejandro Hurtado. Tous deux des plus subtils, s’entendant à merveille sans le besoin de se mirer, ont produit un mémorable concert.
Elle est arrivée en toute simplicité, la chevelure au poivre et sel assumé, façon Patti Smith ou Ariane Mnouchkine, et sans aucune trace de make-up, vêtue d’un complet veston et d’un t-shirt d’une neutralité anthracite ; elle s’est assise côté jardin près du gratteur de six-cordes ; elle nous a poliment annoncé la couleur, autrement dit les palos prévus : une granaína de Chacón ornée de savants arpèges ; deux peteneras, la première « primitive », la seconde, « mexicaine » ; des tientos et des tangos, une zambra ; après quoi, elle a atteint au plus intense, la soleá. Capable de tout mémoriser et restituer, elle nous a gratifié d’une série d’allers-retours entre l’Amérique, les caraïbes et l’Espagne : une milonga de Marchena, une colombiana et une guajira de Valderrama et des cantiñas. Mayte Martín peut passer du cante jondo à la copla ou à la chansonnette la plus populaire sans jamais tomber dans la facilité. Rappelée par la salle debout, elle nous a octroyé en bonus quelques bulerías. Le jeu retenu du guitariste, loin de brider la chanteuse, lui a, selon nous, permis d’exprimer douceur et douleur.
Rocío Molina, la danseuse associée à Chaillot, semble avoir trouvé un second souffle et un père de substitution dans le guitariste virtuose Rafael Riqueni, qui avait disparu des radars et qui qui nous est revenu au niveau où il était, celui d’un Paco de Lucía.
Rocío, croisée en ville, nous a dit que cette rencontre était pour elle « un rêve, un cadeau de la vie. » Elle a transformé la dizaine de thèmes provenant du dernier disque de Riqueni, Herencia, en autant de tableaux dansés.
Les deux artistes ont débordé le cadre strict du flamenco, en en conservant l’esprit, l’élan, l’allant et en faisant retour au début du siècle dernier, à l’impressionnisme debussien pour l’un, à la modernité en danse d’une Clotilde Sakaharoff, d’une Gret Palucca ou d’une Konami Ishii pour l’autre.
Soutenue ou impulsée par Riqueni, Rocío n’a pas cherché à mettre en avant sa virtuosité technique, la vélocité de son taconeo mais, au contraire, ses qualités expressives, limite représentatives d’un personnage dont elle se distancie en dehors du cadre théâtral, sa fluidité, la finesse de son port de bras, mais également son sens compositionnel. Ce n’est pas un hasard si le meilleur fut gardé pour la fin, d’un lyrisme aobsolu.
Nicolas Villodre
Spectacles vus les 17 et 18 janvier 2020 au Festival Flamenco de Nîmes.
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