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Diplôme d'Etat : Halte aux rumeurs !

L'Assemblée nationale a voté, jeudi 7 mars, une proposition de loi destinée à « professionnaliser l'enseignement de la danse en tenant compte de la diversité des pratiques ». Il s'agit de la première étape d'un parcours législatif qui est loin d'être achevé, mais elle a déjà provoqué de vives critiques, notamment venues des milieux de danse hip-hop et de danses traditionnelles, soumettant leur enseignement à un diplôme d’État de niveau bac + 3.

Le débat public s'est cristallisé autour de la question du hip-hop, en particulier une pétition ayant recueilli de plus de 20000 signatures, ce qui est non négligeable si l'on se souvient que la Fédération Française de Danse (peu représentative, il est vrai) ne déclare qu'un peu plus de 88000 licenciés, tandis que les réseaux s'emballaient et propageaient de fausses informations.

Une simple visite sur le site de l'Assemblée nationale permet d'éliminer nombre d'erreurs. En premier lieu, il ne s'agit pas de supprimer le diplôme d'Etat mais de moderniser la loi n° 89‑468 du 10 juillet 1989… Modifier une loi 35 ans après son adoption ne semble pas absurde d'autant que le processus est en cours depuis longtemps (plus de 6 ans) au ministère de la Culture. C'est une « mission flash » des députés Madame Fabienne Colboc (Parti Renaissance) et Madame Valérie Bazin-Malgras (Parti Les républicains) qui portent l'actuelle modification lancée il y a moins de deux ans, qui a accéléré un processus que la Délégation à la danse du ministère gérait jusqu'alors, en particulier dans un esprit d'alignement de l'enseignement de la danse sur celui des autres pratiques artistiques (d'où le niveau licence, mais aussi la possibilité de l'alternance ou la valorisation des acquis de l'expérience). Il y a en effet de longues années que les professionnels de l'enseignement de la danse soulignent qu'il faut adapter la loi à la réalité. Mais l'un des obstacles est la difficulté de porter des modifications par la loi, d'où l'un des aspects de la réforme qui veut permettre les modifications, par exemple les types de danse envisagés, par décret, ce qui est beaucoup plus souple. Les changements envisagés le sont donc dans un cadre qui est celui que nous connaissons actuellement. 

Or, il faut rappeler que si la loi n° 89‑468 du 10 juillet 1989 a été une étape importante dans la vie de la danse en France, sa visée n'était ni professionnelle ni d'organisation d'un projet artistique, mais de santé publique. Elle tend à protéger les élèves et à ce titre, l'organisation de l'enseignement n'a été qu'un outil, au même titre que la réglementation sur la nature des sols, ou les obligations concernant les sanitaires. Et il importe de rappeler que cette loi a été un incontestable succès et que l'on ne voit plus de jeunes élèves pratiquer sur du carrelage au risque (avéré) de fractures de fatigue.

Mais ministère comme députés ont fait le constat qu'au bout de plusieurs décennies les pratiques ont évolué. Certaines préoccupations sont apparues que l'on négligeait, par exemple la question du harcèlement et des abus sexuels. Et c'est là que l'on en revient au hip-hop. Quasi inconnu il y a trente-cinq ans, le hip-hop est devenu essentiel dans les pratiques d'aujourd'hui tout en s'institutionnalisant largement (Trois des dix-neuf CCN sont dirigés par des chorégraphes issus de ce style), avec subventionnement des compagnies, programmation et reconnaissance médiatique, pour les pratiques comme pour les artistes. Mais le mouvement de contestation semble donc raviver le clivage entre pratiques scéniques et sociales qui a déjà fait échouer un précédent projet en 2016. Ainsi lit-on dans la pétition : « Battles, Soirées, Clubs, Houses... sont autant des outils de transmission, d’union, et de reconnaissance des pairs », mais il s'agit là de divertissements, voire de compétitions que la loi ne vise pas, pas des enseignements… Sauf à considérer que les enfants qui apprennent le hip-hop ne méritent pas la même protection que les autres ! Et le terme même de « battle » renvoie à une logique de compétition qui rappelle que le hip-hop est sport olympique de démonstration à Paris… Ce qui en termes d'institutionnalisation est sans doute encore plus contraignant que la loi telle qu'en vue et qui semble présager qu'un Directeur Technique National est moins institutionnel qu'un conseiller DRAC !

Se lancer sur le dos, tourner sur la tête ou bloquer soudain un mouvement en s'arrêtant sur les mains sont des mouvements dangereux, comparables à ceux du cirque (dont les professeurs suivent une formation en trois ans) et si chacun est en droit de pratiquer ce qu'il veut comme il l'entend, ne pas exposer les enfants aux risques est un enjeu de santé publique qui regarde l'État. Et donc l'organisation de l'enseignement. Quelques drames, restés sans explications, ont endeuillé dans les années récentes, le monde du hip-hop. Ils n'ont peut-être rien à voir avec la pratique, il s'agit peut-être de coïncidences, mais un principe élémentaire de précaution oblige à prendre en compte la santé des élèves ; de tous les élèves, car certains arguments tendant à exclure de ce principe les danseurs hip-hop, au motif que cette danse vient de la rue, relèvent d'un véritable racisme social. 

Quant aux arguments s'appuyant sur la mise en danger de l'enseignement des danses traditionnelles, il relève de la franche mauvaise foi. Peut-on souligner que ces danses s'accommodent fort bien de la législation actuelle. Il y a des décennies qu'à la Réunion, le conservatoire a fait sa place au Bharata Natyam (la communauté Indienne est très importante sur l'île), la danse basque va très bien et s'enseigne largement : il n'y a aucune raison que cela change au motif que l'obtention du Diplôme d'Etat se fera en trois ans plutôt qu'en deux. Et l'on peut rassurer les fédérations de danse bretonne : les risques sanitaires liés aux fest-noz, même pratiqués par des enfants, restant limités, la nécessité de l'encadrement de l'enseignement ne s'impose guère… 

Reste que cette mobilisation témoigne de l'importance des intérêts en jeu et de l'impact médiatique des opposants à la loi. A n'en pas douter, ceux qui savent trouver le chemin des services de l'État pour négocier soutien financier ou autorisation de spectacles, sauront le faire aussi pour organiser l'enseignement dans le souci des élèves, car, et le débat biaisé qui domine tend à l'occulter, il reste beaucoup de choses à régler par la voie réglementaire, à commencer par le contenu de cette nouvelle année de formation.

Philippe Verrièle

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