(Des)illusions au Monfort : « Magnétic » de Jérôme Thomas
Dans ce quatuor de jonglage chorégraphique, les balles dansent et poussent la porte de l’art visuel.
Au Monfort, le festival (Des)illusions crée une ambiance festive, où l’on circule et discute, où le temps passe au ralenti, comme sur un festival d’été. Les propositions s’enchaînent et un spectacle ne commence pas forcément à l’heure annoncée. S’il le faut, on commence vingt minutes plus tard. Et pourquoi pas ?
Cette liberté festivalière, où l’événement crée ses propres lois, se ressent aussi dans la façon d’investir les espaces. Voilà que le billet pour Magnétic de Jérôme Thomas indique la Grande Salle, mais tous les fauteuils resteront libres. Le public traverse la salle pour monter sur le plateau, car ce quatuor chorégraphique et jonglé arrive avec ses propres gradins qui créent un rapport scène-salle bien plus intimiste. Avec ses tempêtes visuelles et sonores, Magnétic ne serait pourtant pas perdu sur le grand plateau. Mais on apprécie la proximité, surtout dans les premiers tableaux qui vont comme un gant à ce quatuor de circassiennes chevronnées.
D’abord saisies en contrejour, par des flashs qui impriment des chimères lumineuses sur la rétine, les quatre protagonistes mettent leurs bras en mouvement, pour laisser surgir les balles comme si elles sortaient directement de leur propre imaginaire. Suivent des mises en orbite de balles blanches fixées sur de longues tiges souples, créant des réflexions gravitationnelles, des mises en jeu de masse et d’apesanteur aussi pointues que poétiques et sensuelles.
Et on se pince à se dire que vingt ans avant les dispositifs d’un Yoann Bourgeois, la révolution circassienne avait à ce point rapproché les balles blanches des trous noirs. Car Magnétic rebondit sur Hic, la première partie de Hic Hoc, spectacle emblématique du nouveau jonglage, créé par Jérôme Thomas pour quatre hommes en 1995, avec, entre autres, un Philippe Ménard, aujourd’hui connue comme Phia.
A partir de là, Magnétic est tout de même un objet des plus difficiles à cerner. Il y est question de jonglage, et les balles volent comme jamais. Mais là où on a l’habitude d’observer autant la chorégraphie des mains que celle des objets manipulés, le tableau central de Magnétic fait la part belle aux balles et transforme le jonglage en art visuel. Il faut dire que les balles sont alors fixées à de longs élastiques suspendus aux cintres et tenus de main ferme par les quatre jongleuses.
Elles vont ici jusqu’à s’effacer en se couchant sur le dos, pour déclencher de véritables tempêtes dans l’espace aérien. Dans leurs allers-retours, les cordes blanches, chacune articulée par une balle en son milieu, semblent couvrir l’espace de la blancheur d’un voile, d’autant plus évocateur que les envols sonores signés Wilfried Wendling sont ici particulièrement orageux et figuratifs. On songe par exemple à un bateau ivre, alors que les rebonds des balles et des cordes créent des images graphiques et abstraites.
Galerie photo © Christophe Raynaud De Lage
Ou bien prenez ce tableau où les jongleuses manipulent des plaques de polystyrène qui se transforment en écrans, pour capter un déluge de grésillement visuel comme pour s’envoler en pleine tempête de neige. Mais l’environnement sonore, rappelant des scènes de combat ou des manifestations violentes, construit des rapports de force entre le champ (de bataille) et le hors-champ qui penchent en faveur de l’imaginaire.
Mais à côté de l’invention et des agrès, il y a la question des accords entre les univers et les interprètes. Et on se surprend à se dire que malgré sa révision récente en vue de la création de Magnétic, ces derniers trableaux issus de Hic ont toujours l’air d’avoir été pensés pour des hommes, les jongleuses exécutant leurs gestes de manière presque stoïque, contrairement au début du spectacle, porté par l’impesanteur. Le magnétisme de la pièce va donc non crescendo, mais diminuendo.
Thomas Hahn
Spectacle vu le 15 mars 2018
Le Monfort, festival (Des)illusions
Création de Jérôme Thomas
Musique et vidéo : Wilfried Wendling en collaboration avec Grégory Joubert
Interprétation : Audrey Decaillon, Chloé Mazet, Nicoletta Battaglia, Gaelle Cathelineau ou Ria Rehfuss
Création lumière : Bernard Revel assisté de Dominique Mercier-Balaz
Création accessoires et costumes : Emmanuelle Grobet
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