« Débandade » d’Olivia Grandville
Olivia Grandville signe avec Débandade (2021), 3e volet d'un triptyque formé avec Klein (2020) et La guerre des pauvres (2021), une oeuvre subversive et pleine d'humour. A voir à Chaillot Théâtre national de la Danse jusqu'au 19 octobre !
Sous ce titre ironique pouvant faire songer à celui du Bande à part de Godard, la chorégraphe traite de la question du genre, du genre masculin plus particulièrement. Elle a convoqué pour ce faire sept mercenaires, une petite troupe multiculti de trentenaires aguerris à la danse qui se dévoilent à nous 90 minutes durant sous diverses modalités – dénuement, confidences, showcase de prouesses physiques. Une vidéo dispensable, quoique ni dérangeante ni distrayante, complète cette galerie de portraits. Tout aussi significative que la danse ou, disons, la partie visuelle, est selon nous la B.O. Celle-ci est à base de monologues des interprètes (ou protagonistes), de morceaux choisis dans une playlist éclectique, allant d’Elvis ( Money Honey, 1956) à DJ Léo (Je suis fâché, 2019, en rappel), en passant par du bel canto, du baroque, du Stravinsky (quelques mesures du Sacre, 1913), de Gainsbourg citant celui-ci ( I’m the boy, 1984) et d’une création sonore délivrée livepar le DJ Jonathan Kingsley Seilman. Il convient de souligner la qualité de la diffusion sonore, d’après nous idéale, dans la nouvelle boîte noire, pour l’instant sans nom, de la Maison de la Culture de Bobigny.
Suivant une formule inaccoutumée de danse-théâtre, fort éloignée de la version expressionniste, nostalgique, pour ne pas dire un peu « rétro » de Pina Bausch, Olivia Grandville capte l’attention du public pendant toute la longueur du spectacle. Débandade déclenche à plusieurs reprises sinon le rire du moins le sourire de l’audience. Les propos des uns et des autres, adressés à la cantonade, dits au micro en direct ou en voix off enregistrée, avec leurs intonations et accents contrastés, exposent simplement la condition de l’interprète des années 90. Ces mots quotidiens ont aussi pour effet de dédramatiser – de dépénaliser – la question homosexuelle inhérente à la danse d’hommes. Le sujet de la masculinité, ainsi traité, qui plus est par une femme, n’a plus rien de « clivant ». Le talent des uns (les danseurs Habib Ben Tanfous, Jordan Deschamps, Martin Gìl, Ludovico Paladini, Matthieu Patarozzi, Matthieu Sinault, Eric Windmi Nebie) et des autres (le musicien Jonathan Kingsley Seilman ; le « regard extérieur » César Vayssié ; la créatrice des costumes Marion Régnier ; le scénographe James Brandily) se conjugue parfaitement avec la « musicalité » de l’autrice de la pièce, laquelle déclare : « Quand je travaille sur des textes, c’est le phrasé qui m’intéresse. Et j’adore les rapports qui peuvent émerger entre un texte et des gestes ».
Le décor est ici réduit à l’essentiel : sept longueurs de moquette rose faisant office de tapis de sol, un podium pour « catwalk » avec promontoire en direction du public, constitué d’une douzaine de praticables ; une table avec le PC portable, la boîte à rythmes et la mixette du DJ Seilman, côté jardin ; une tête de cerf empaillée posée à terre, côté cour ; un rideau lamé cabaretier, tout au fond. De ce rideau, il ne sera fait aucun usage sauf en conclusion du show, avec une belle séquence de Voguing sur fond de house et les corps athlétiques des artistes s’en donnant à cœur joie. Ce numéro, excellemment éclairé par Titouan Geoffroy et Yves Godin, eût pu, eût dû, être le finale– la retombée en enfance ou, si l’on préfère, en planète des singes, n’apporte plus grand-chose à l’opus à cette heure-là. La musicalité de Grandville suppose un sens du rythme des plus sûrs. Sa chorégraphie laisse chacun s’exprimer en solo, chacun faire montre d’un talent particulier – cf. les deux-trois impressionnantes roulades présupposant la connaissance des arts martiaux. Grandville invente des suites de pas nouveaux comme la chute vers l’avant, en duo, suivie d’une marche rapide en appui sur les mains façon brouette. Last but not least, elle maîtrise admirablement les mouvements d’ensemble.
Nicolas Villodre
Vu le 7 avril 2022 à la MC 93.
A voir à Chaillot Théâtre national de la Danse jusqu'au 19 octobre !
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