« Dans l’engrenage » de la compagnie Dyptik
Du bon grain Dans l’engrenage !
Depuis 2012, Souhail Marchiche et Mehdi Meghari animent la compagnie Dyptik.
Dans l’engrenage, leur première pièce de groupe pour le théâtre, date de 2017 et a acquis, depuis sa création et la série de représentation du Off d’Avignon 2018, une belle intensité et une indéniable cohérence. La pièce de référence de deux chorégraphes qui montent.
Beau début en solo : une femme derrière la table qu’ourle une lumière violente, s’adresse de gestes qui la traversent, à un auditoire incertain. Ce n’est pas le public, puisqu’elle semble parler et reste muette, comme un film sans le son. Le dispositif évoque la Lisbeth Gruwez de It's Going to Get Worse and Worse and Worse, My Friend (2012) – austérité du costume masculin, dispositif scénique rectangulaire, gestuelle contrainte- et la dimension politique de la séquence n’en apparaît que plus évidente. Tandis que cette critique du discours se développe les autres interprètes sortent des coulisses. Lentement, par saccades et dans l’ombre, comme attirés irrésistiblement par cette table, lieu de pouvoir magnifié.
L’accelerando souligne la montée d’une tension que le retrait de celle qui haranguait sans un mot se retire dans l’ombre du fond de scène. Les six autres danseurs occupent la table, se regroupent autour, se répartissent par groupe, l’investissent d’une gestuelle expressive.
La référence à La Table Verte (1932) de Kurt Jooss s’impose. Les deux chorégraphes la reconnaissent d’ailleurs. Tendue et sombre, cette première moitié de la pièce explore le discours politique, la fascination du pouvoir et la façon dont l’un et l’autre contaminent ceux qui l’approche. Et tous, sauf un, sortent. Ce solo marque une bascule. La danse change de nature, la pièce s’anime.
La stylistique hip-hop qui ne primait guère dans la danse prend une importance beaucoup plus prégnante, le groupe livrant la lutte de tous contre tous, dans un furieux glissement de tutti aux soli à la coloration expressive puissante. Mais l’excès gagne la danse, le hip-hop se faisant presque flamenco, ronde, poursuite folle et danse de transe, dans une expression débridée de l’hybris.
Le propos initial entendait « mettre en scène la course sociale effrénée du “toujours plus ”, la dérive de la norme commune » comme l’écrivait les auteurs et une forme assez codifiée du hip-hop servait cette intention. Mais ce glissement de la danse vers des formes séculaires et une primauté de la rythmique sur la gestuelle - comme dans le Bit de Maguy Marin (2016)- entraîne la pièce vers une outrance et un abandon qui pourrait virer à la caricature si les sept interprètes ne « tenaient » fermement leur dérive. Cela part, explose, court et saute, mais reste dans un contrôle suffisant pour que cette folie de l’excès dégage toute son énergie. Jusqu’à un épuisement qui vaut résolution mais ne rassure guère !
Reste qu’entendre, à ce moment de la presque transe, le public battre le rythme avec les danseurs et les accompagner, renouant avec la logique des fêtes traditionnelles, abolissant en somme la logique du spectacle, témoignait de la réussite de cette interprétation. C’est sans doute ce qui avait un peu manqué jusqu’alors à cette pièce. Bien construite, tissée de références, elle restait cependant comme un bel exercice un peu appliqué.
L’interprétation la fait monter d’un cran, témoignant qu’il faut dorénavant compter sur ces jeunes chorégraphes .
Philippe Verrièle
Festival Le Temps d’Aimer, Biarritz, salle du Casino, 13 septembre 2019.
Chorégraphes : Souhail Marchiche et Mehdi Meghari
Interprétation : Elias Ardoin, Evan Greenaway, Samir El Fatoumi, Yohann Daher, Katia Lharaig, Émilie Tarpin-Lyonnet, Marine Wroniszewsk
Tournées
3-4 oct. : New York City Center
8 oct. : Colby College, Waterville (USA)
29 nov. : Quai des arts, Argentan (61)
3 déc. : Le Sémaphore, Cébazat (63)
21 déc. : Hop Festival, Barcelone
17 janv. 2020 : Théâtre l’éclat, Pont-Audemer (27)
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