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« Dancelab 8 » au théâtre de Bâle

Dancelab 8 est une opportunité offerte aux danseurs du ballet du théâtre de Bâle. Des premiers pas très prometteurs en tant que chorégraphe pour six d'entre eux.

Les danseurs du Theater Basel qui désiraient participer à l’édition 2017 de Dancelab, ont déposé des dossiers anonymes auprès de Richard  Wherlock, le directeur du Ballet. Il a ensuite étudié toutes les propositions afin d’en sélectionner six.

Six danseurs pour qui il s’agissait en grande partie d’une première œuvre à chorégraphier avec la chance de pouvoir utiliser toutes les techniques et décors du théâtre et d’avoir un budget afin d’inviter chanteurs, musiciens et vidéaste.

« Mettre son propre travail chorégraphié dans la performance est une expérience significative pour les jeunes artistes sur le chemin de la maturité créative. » souligne Richard Wherlock. « DanceLab offre aux danseurs une formidable opportunité afin de pouvoir créer sur un temps court de dix minutes, des études abstraites du mouvement, des images associatives ou de brèves histoires dansées. »

Chaque chorégraphe avait une totale liberté du choix des interprètes, des musiques et du thème. A noter que Richard Wherlock n’est jamais intervenu durant les répétitions ni pour donner des conseils, ni pour choisir l’ordre de passage.. Il a découvert leur travail en même temps que le public.

Inspiré de The Doors of perception (Les Portes de la perception) d’Aldous Huxley (1954), l’espagnole Andrea Tortosa Vidal laisse percevoir de façon très intelligente les différents stades de l’homme qui revient après avoir plusieurs fois franchi la porte dans le mur. Cette porte, le danseur s’y cogne avec un bruit terrifiant. Bien que les quatre autres interprètes tentent de le comprendre et de retrouver le même ami qu’auparavant, ils découvrent qu’à chaque tentative, il n’est plus tout à fait le même.

En utilisant des vidéos qui devancent les mouvements, en choisissant de leur faire porter à tous le même masque du visage de l’homme, et grâce à une chorégraphie très contemporaine qui suggère plus qu’elle n’appuie sur les situations, Andrea Tortosa Vidal, dessine parfaitement bien le mystère insondable du raisonnement de la pensée.

Avec Variations inégales, l’américain Armando Braswell a voulu se pencher sur l’inégalité entre les pauvres et les riches, entre les noirs et les blancs, soit les divisions et les tensions qui sévissent aux Etats Unis. Un thème qui aurait pu s’avérer très sérieux et qui, au contraire, se déroule, grâce à douze excellents danseurs dans une ambiance joyeuse et dynamique où l’on passe d’un semblant de West Side Story à une Macarena endiablée. C’est jeune et rafraichissant !

Le suédois Max Zachrisson a osé prendre des risques avec Cheap Glitter. C’est l’histoire d’un homme (formidable Anthony Ramiandrisoa) qui fête son anniversaire avec ses copains de la rue. Ce jour là, il est comme toute star, sur un tapis rouge dans un carré VIP applaudi par des inconnus. De fil en aiguille, les années passent, et le rituel revient tous les ans à la même date. Mais il se lasse de cette gloire éphémère qui le soustrait à la danse de rue et à ses potes. Il esquisse dans ce carré des petits pas de plus en plus tristes alors que les quatre autres s’éclatent dans un rythme très soutenu proche du hip hop.

Grâce à une excellente dramaturgie, une parfaite écriture chorégraphique et un véritable jeu d’acteur de la part des interprètes, Max Zachrisson raconte en quelques minutes le contraste entre la superficialité et le réel.

Un drame de la vie conjugale avec Under the table (sous la table) de la française Luna Bustinduy Mertens. Sur des musiques de Richter, Philip Glass, Olafur Arnalds et The sound of silence de Simon et Garfunkel chanté en direct par Agnes Björgvinsdóttir, se déroule une scène d’une rare violence entre deux époux. Elle est jeune, ravissante et toute fraiche. Il est plus mûr et dévoile très vite son coté machiste et autoritaire. Délicieuse et craignant un esclandre, Vivian de Britto Schiller obéit aux ordres de Sergio Bustinduy. Mais il a besoin de prouver à quel point il est un mec, un vrai. De peur, elle se cache sous la table, ce geste anodin engendre une scène terrible où le mâle maltraite sa jeune femme sans aucune retenue.

Cette singulière brutalité qui se termine par un viol est en contradiction avec les mouvements dansés très féminins de l’épouse. Petit animal blessé, elle se retrouve seule et se remémore par le biais de vidéo les jours si heureux enrobés de tant de passion le jour de leur mariage. Quelle puissance et quelle belle interprétation tant au niveau de la danse que sur le plan de l’intériorité des personnages !

Chambacú par le colombien Rubén Bañol Herrera s’inspire de l’histoire d’un quartier de Cartagena de Indias (Colombie), situé auparavant à la périphérie du centre historique de la ville. Habité par mille trois cents familles descendants d'esclaves africains, le plus grand bidonville du pays a été le théâtre en 1971 de l'un des processus d'éradication le plus important dans l'histoire colombienne.

Sur des musiques de Shango Dely et avec l’incroyable présence de la chanteuse Aura Gutierrez Capeille, le chorégraphe ne sombre jamais dans le mélo mais entremêle avec subtilité nostalgie et joie de vivre d’une population énergique, forte et combattante. Les sept danseurs vêtus de costumes colorés semblent habités par les sons. Ainsi les corps vacillent du bout des pieds jusqu’au somment de la tête avec une douce énergie qui se transforme en début de transe suivant les rythmes imposés. Une tranche de vie qui fait songer à cette formidable énergie qu’engendre le sang africain.

Avec The Discontinuation of an echo, Sol Bilbao Lucuix joue sur la notion d’équilibre et du vivre ensemble avec trois danseuses qui sont chacune maintenues par une corde et sont liées ensemble par le centre. Il y a celle qui veut être la plus forte, l’autre qui désire commander et celle qui subit. Les jeux se perdent dans des méandres où les actions de l’une vont influencer l’autre et vice versa. En trio, duo ou seule, elles dessinent les codes de la société dans un langage dansé basé sur les fragilités humaines.

Cette délicieuse soirée est un kaléidoscope de la pensée créative contemporaine. Elle prouve que les jeunes chorégraphes, dont la plupart se sont inspirés de leurs origines, ne sont pas en manque d’idées et d’originalité. Bien qu’ils fassent preuve de créativité, on retrouve chez presque tous des touches de Richard Wherlock. Richard qui signe en avril 2018 la création de Mort à Venise au Theater Basel (Bâle).

Malgré quelques petites erreurs de jeunesse à vouloir trop en dire, soit ne pas savoir épurer afin de se consacrer uniquement à son thème et pour d’autres le risque de se perdre dans un sujet trop compliqué, ils ont osé, et c’est le principal du fait qu’il est évident qu’avec la maturité, il sauront gérer leurs émotions et offrirons une parfaite création chorégraphique.

Ces expériences intéressantes remarquablement bien pensées et extrêmement bien dansées, ce qui prouve l’excellente qualité technique des interprètes, sont révélatrices d’une jeunesse à l’esprit vif et aux faits de la société.

Sophie Lesort

Spectacle vu au theater Basel (Bâle) le 8 juin 2017

Le programme du Theater Basel

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