« Dance Marathon Express » de Kaori Ito au TJP de Strasbourg
Le Centre dramatique national de Strasbourg Grand Est nous a permis de découvrir la création de Kaori Ito, Dance Marathon Express, coproduite avec le Kanagawa Arts Center.
Le titre, en anglais, on ne sait trop pourquoi, fait naturellement songer aux concours de danse dont traitait le roman d’Horace McCoy, They Shoot Horses, Don't They? (1935). Kaori Ito est partie, elle aussi, d’une œuvre littéraire, d’une série de nouvelles de Kenji Miyazawa datant de la première moitié des années 30, réunies dans le livre traduit en français par Hélène Morita, Les Pieds nus de lumière. C’est sous forme de comédie musicale que débute la pièce, destinée, comme il se doit, Théâtre jeune public oblige, à des spectateurs âgés de 9 à 99 ans. Ce show chatoyant et pailleté, comme eût dit Flaubert, est enrichi ou, si l’on veut, suivi d’une deuxième partie, qui est tout le contraire : mélancolique, sombre, en noir et blanc. D’un côté, la musique et la danse, de l’autre le théâtre, la poésie, le mélodrame. Quoique séparée du théâtre, la danse est néanmoins présente dans la seconde partie.

Les cris de joie de l’entame de la pièce trouvent leur équivalent dans le pur signifiant des onomatopées constitutives du style de Kenji Miyazawa. Kaori Ito considère d’ailleurs que les onomatopées forment une « véritable langue primitive » au Japon : ainsi, les gouttes de pluie font Pota Pota et Zaa Zaa ; la marche sur la neige fait Shin Shin ; les amoureux font Doki Doki et leurs larmes, Shiku Shiku. On pense, naturellement, au Piff, Paff, Pouff de l’opérette d’Offenbach La Grande Duchesse ; au Zang Tumb Tumb (1914) futuriste de Marinetti ; au Zaoum (1913) des futuristes russes Kroutchenykh, Khlebnikov et Iliazd ; au poème Dada Karawane (1917) d’Hugo Ball ; à l’Ursonate (1921) du créateur du Merz, Kurt Schwitters ; aux chansons zazoues de Charles Trenet « Boum » et « Il pleut dans ma chambre » (1938) ; au Lettrisme (1946) d’Isou (puis de Lemaître, Dufrêne, Wolman, etc) ; à la chanson « Comic Strip » de Gainsbourg…
Force est de constater que Dance Marathon Express peut être perçu par le spectateur comme une « danse-théâtre » ne visant pas à hybrider les deux disciplines dans une perspective de Gesamtkunstwerk, mais, tout bonnement à faire alterner les expressions, en commençant par la fin, au moyen d’un flashback remontant des années 2010 à la décennie des années 30 du siècle passé. D’où cette impression de « deux pièces pour le prix d’une », de deux idées ou projets réunis arbitrairement, capricieusement par l’auteure. Incidemment, ce qui, pour un spectateur occidental, paraît sans doute de goût douteux, à savoir la présence, côté jardin, d’un siège de WC, qui pourrait s’expliquer par la crudité, la verdeur, le vérisme en matière de représentation au pays du soleil levant, est justifié par l’isolement des jeunes, leur mise à l’écart, au ban de la société du spectacle. Un peu comme, chez nous, il arrive aux parents d’envoyer leur progéniture « se calmer dans leur chambre » ou, il n’y a pas si longtemps, aux maîtres d’école, de « mettre au coin » les élèves turbulents. Cette idée de mise en scène permet d’intriquer les deux récits, de leur donner une certaine cohésion via les apartés réitérés que sont la lecture de textes de Kenji Miyazawa.
Près d’une dizaine de tubes japonais, sous influence américaine, rythment l’écoulement, qui vont du moderne au rétro, de l’électro-pop au boogie-woogie et passant par la variété et le rock : Chase Remix de MFS, Seifuku no mannequin de Nogizaka 46, I love you de Position Lee Jong Hynn, Dokkidoki ! Love mail de Matsuura Aya, Catch me de Nakyama Miho, Sotsugyoshashin de Mattoya Yumi, Smokin' Boogie de Takeshi Terauchi & Blue Jeans, Ai no sanka de Misora Hibari, Tokyo Boogie Woogie de Kasagi Sizuko et Hoshi meguri no ut d’Oda Tomomi. La qualité du son obtenue par Yuko Nishida & Eric Fabacher est telle qu’on n’entend aucune rupture entre le vrai et faux, entre le live et le playback, entre le parlé et le chanté. Il convient de nommer les huit interprètes, venus de Suisse, du Japon et de Corée du sud, tous remarquables dans l’art chorégraphique comme dans l’art dramatique : Aokid, Noémie Ettlin, Yu Okamoto, Issue Park, Rinnosuke, Sato Yamada, Ema Yuasa et Léonore Zurflüh.
Les lumières de Maki Ueyama, Thibaut Schmitt et Arno Veyrat, les costumes aux teintes saturées conçus par Aya Kakino, la playlist retenue montrant à la fois l’influence américaine et le décalage temporel entre les originaux et les adaptations nippones, l’énergie positive qui se dégage contribuent à la réussite de la pièce. La chorégraphie est extrêmement dynamique et les prestations des solistes remarquables, que ce soient celles des adeptes de hip-hop que celles des artistes formés au contemporain. Le travail de groupe est épatant : on pense, notamment au tableau disco, à la séquence hippie avec une danse au ralenti et un travail au sol, sans parler du numéro de « Monkey dance »…
Nicolas Villodre
Vu le 8 octobre 2025 au TJP-CDN de Strasbourg Grand Est, 5 rue des Balayeurs, Strasbourg.
Le spectacle est présenté le 15 et 16 octobre 2025 au CDN de Rouen.
https://www.cdn-normandierouen.fr/spectacle/dance-marathon-express/
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