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Dairakudakan : « La Planète des Insectes »

La toute dernière création de la compagnie mythique est à la Maison de la Culture du Japon jusqu’au 20 juin

La dernière pièce d'Akaji Maro emprunte au manga, aux jeux vidéo, au romantisme et à l'humano-scepticisme ambiant. Il fait bon de nos jours de prédire la fin d'homo sapiens comme une punition de notre arrogance culturelle et écologique sans mesure commune. Mais on sait également que les dinosaures ont, quant à eux, disparus sans qu'on puisse les accuser d'avoir arrosé la planète de pluies acides ou d'avoir troué la couche d'ozone. Qui peut savoir de nos jours si l'humanité ne sera pas exterminée par un autre météorite plutôt que par le CO2 ? Une seule chose est certaine, et c'est elle qui a motivé Maro: Il y a toujours eu des insectes et il y en aura toujours, d'autant plus que leur capacité d'adaptation est, toutes proportions gardées, presque instantanée.

Maro imagine donc La Planète des Insectes et cette planète ne se situe pas dans un ailleurs, mais dans un âge futur de la Terre, le jour où la prétendue sagesse des insectes l'aura emporté sur l'apparition éphémère de l'espèce humaine. Et il imagine cette planète comme on tourne aujourd'hui des films d'animation, représentant  ce que l'humain réussit à fantasmer sur sa confrontation ultime avec l'altérité. Inspiré par toutes ces considérations sur les insectes et leur soi-disante supériorité à l'espèce  humaine (mais on compare ici le pôle génétique de milliers d'espèces avec une seule, et c'est un brin injuste), Maro a imaginé des formes de vie qui ne retiennent de l'espèce humaine que les aspects grotesques, indéniablement présents. L'arbitre est donc obligé de s'incliner. Avantage aux insectes, parce que l'insecte n'est pas grotesque. Il est, et ça lui suffit. L'insecte est neutre.

Photos Chris Randle

La Planète des Insectes ?

Qu'on se rassure, Maro n'est pas un Luc Petton. Il n'y a pas d'insectes vivants sur le plateau. Rien que des danseurs, tous excellents ce qui n'est pas une surprise. Il y a cinq ans ou peut-être plus, la Maison de la Culture du Japon à Paris a  commencé à inviter Dairakudakan et donc a remettre cette troupe historique sur orbite. Le public était hésitant car la compagnie de Maro était quelque peu tombée dans l'oubli. Aujourd'hui, le public parisien est conquis, Dairakudakan  est la compagnie du moment. Pourquoi ? A la grande différence avec Ushio Amagatsu (Sankai Juku), Akaji Maro mélange garçons et filles, utilise l'humour et l'autodérision et varie le nombre de tableaux de ses spectacles (Amagatsu ne déroge pas au chiffre 7), sans forcément construire une structure cyclique.

Photos : Hiroyuki Kawashima

On ressent aujourd'hui une drôle d'envie de revenir à ce butô rebelle, symbole d'une liberté d'expression, ou plutôt de sa valeur qui se reflète justement dans la lutte des années 1960 quand au Japon le butô contesta la présence militaire américaine dans le pays. Si l'armée américaine s'incruste au Japon, le lien est vite fait avec l'humanité qui soumet la planète à la manière d'une armée d'occupation. Dans ce contexte, Maro fête la victoire des anonymes et des sans-grade et amène un vent de liberté.

Sur La Planète des Insectes, l'humain a disparu et pour le butô le sujet d'études paraît excellent. Pour lui-même, Maro a ici créé un personnage de chat-mouche (ou autre bestiole, si ce n'est le diable) qui sort d'un lit de paille caché dans une fosse en avant-scène. Au premier tableau, une ronde d'employés de bureau fait face à des horreurs réelles ou fantasmées et dévoile ses abymes intérieures. Si dans un premier temps ils le font face à Maro, ce n'est pas moins un clin d'œil porté par l'autodérision que l'apparition du poète errant Matuo Bashô (1644-1694) qui déclame quelques haïkus. Et puisqu'il est mort depuis des siècles, il peut d'autant mieux représenter l'esprit humain sur cette étrange planète. Dans ce scénario, Maro trouve une fois de plus matière à créer des images grotesques. De Shibuya à Montmartre, chaque tableau pourrait, dans une forme réduite, amuser les clients d'un cabaret.

Mais il faut bien remplir le format et le plateau. D'où les vingt-deux danseurs, d'où l'énorme scénographie, aussi puissante que limpide. Des tubes métalliques délimitent cinq petits espaces (un carré et quatre cercles), sculptures et cages à la fois. S'y ajoutent, comme autres formes d'art plastique, les costumes, les corps peints en argent et autres uniformes-carapaces faites de cordages et de théières. Mais dans l'ensemble, la charte chromatique nipponne (blanc/rouge/noir) est respectée de façon exemplaire.

Mais encore ? Sur La Planète des Insectes, une question surgit. À quoi sert le butô ? Doit-il vraiment et à tout prix porter sur les grandes scènes sa dimension grotesque, conçue pour espaces et contextes confidentiels ? Peut-il se contenter de livrer un livre d'images ? Un art rebelle peut-il ainsi, mené par un de ses fondateurs, s'allonger sur l'autel du divertissement ? On se pince un peu. Maro, quelle mouche t’a piqué ?

Thomas Hahn

Les 13, 18, 19 et 20 juin à la Maison de la culture du Japon à Paris | 101 bis, quai Branly | 75015 Paris | Métro 6, Bir-Hakeim | RER C, Champ de Mars - Tour Eiffel

Jeudi 18 juin : rencontre avec Akaji Maro

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