« Cuentos de azúcar » d’Eva Yerbabuena
Le spectacle de la danseuse-chorégraphe Eva Yerbabuena découvert à Chaillot, d’esprit (extrême) orientaliste porte un titre qui a de quoi désorienter, Cuentos de azúcar, autrement dit : Contes sucrés. Il alterne sans les faire fusionner l’art traditionnel issu de l’Empire du soleil levant et le flamenco le plus classique qui puisse être.
Techniquement parlant, la pièce est parfaitement au point, avec les éclairages zénithaux, les variations chromatiques, les effets d’apparition-disparition de tout ou partie des protagonistes à l’arrière-plan, conçus par Fernando Martín, dignes d’un show pour Vegas, l’ampleur du son voulue par Ángel Olalla et restituée salle Jean Vilar, la déco de María de la Camara, à la fois simple et byzantine à base de deux grands cercles, l’un projeté sur le mur du fond, symbolisant tantôt l’astre lunaire, tantôt celui du jour, l’autre délimité au sol par quatre bonnes douzaines d’escargots d’acier (treize à la douzaine) figurant la terre, l’arène, le ring.
Pour ce qui est de la danse, nous avons été, il faut bien le dire, sevré. D’une part, Yerbabuena a enchaîné une série de mouvements sans provoquer ni surprise ni grande émotion. De l’autre, son collègue de bureau, Fernando Jiménez, l’a joué bondissant, faunesque, satyrique (très premier degré, et pas vraiment... satirique) mais est arrivé là, au centre du cercle, comme un cheveu sur la soupe.
Galerie photo © Joan Tomas
Autrement dit, la chorégraphie manque de travail et de trouvailles. Bien entendu, avec son métier et son expérience, Yerbabuena a donné le change et le public a constamment applaudi ses remates. Il faut dire qu’elle arborait de magnifiques costumes signés ou designés par López de Santos. Nous nous devons aussi de reconnaître que son taconeo, quoique chiche dans la durée de la pièce, reste impressionnant de puissance et de finesse.
Autant dire que la bonne surprise de la soirée est venue de la chanteuse Ana Sato, originaire de l’île d’Amani-Oshima, au large de Kyushu, accompagnée du joueur de Taiko, Kaoru Watanabe. D’une élégance absolue, vêtue d’une robe d’apparat et d’un manteau à traîne, elle a interprété des airs ancestraux, transmis par son grand-père, dans un dialecte qui a quasiment disparu, des mélopées qui continuent de nous atteindre.
Sa tessiture extrêmement étendue et la justesse de sa phonation ont donné le chair de poule. La mixtion était impossible entre la gamme pentatonique et les sept, voire huit tons, du flamenco. Raison pour laquelle l’excellent tocaor Paco Jarana a multiplié les dissonances pour être certain de trouver le ton juste, à un moment ou à un autre. Un instant de grâce, pour ne pas dire de duende, en fin de programme permet à la chanteuse et aux deux cantaores, Alfredo Tejada et Miguel Ortega, de s’accorder, de s’ajuster, d’enfin s’entendre.
Nicolas Villodre
Vu le 4 février 2020 à Chaillot dans le cadre de la quatrième Biennale d’art flamenco.
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