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Création de Thomas Lebrun à Tours d’Horizons

1998 est le titre de la création de Thomas Lebrun pour cette nouvelle édition du festival Tours d’Horizons. Le chorégraphe nous a livré quelques confidences, sur ce programme composé de pièces de répertoire et de transmission en hommage à Bernard Glandier et Christine Bastin. La création d’un duo, signé Thomas Lebrun, complète cette soirée exceptionnelle.

Si l'on omet la référence sempiternelle à la Coupe du monde de football, que vous reste-t-il de 1998 ? Vous reviendrait-t-il que ce fut l'année où Lounès Matoub, le chanteur kabyle fut assassiné par les islamistes ? Qui se souvient que la France accueillit le président syrien Hafez el-Assad ? L'opération « Renard du Désert » durant laquelle Britanniques et Américains bombardèrent l'Irak évoque-t-elle encore quelque chose ? Et la crise au Kosovo ou les Accords de Nouméa ? Décidément on pourrait se passer de 1998… Quoiqu'en danse, les choses ne furent pas si négligeables. Il ne paraît pas indispensable de rappeler que cette année-là Marie-Claude Pietragalla prend la direction du CCN/Ballet de Marseille, lequel avait été fondé en 1984 par labellisation du Ballet National de Marseille/Roland Petit qui s’y était installé en 1972. On connaît la suite. En revanche, cette année-là, Maguy Marin qui avait volontairement laissé le CCN de Créteil, fonde celui de de Rillieux-la-Pape tandis que Robyn Orlin crée le fameux Daddy, I’ve seen this piece times before and I still don’t know why they’re hurting each other (13 mars), pièce qui fait un triomphe aux Rencontres Chorégraphiques d’Afrique et d’Océan Indien à Tananarive et accélère la reconnaissance de la danse africaine. Cette année-là, Alain Buffard crée Good-Boy (23 janvier), Yvann Alexandre, Loony (21 mars), Xavier Le Roy Self Unfinished (28 avril) et François Verret, Kaspar Konzert (17 novembre).

Cette année-là, le Théâtre de la Ville ouvre sa scène à Christine Bastin qui y donne Be. À bien des points de vue, ce programme marque une inflexion particulière dans le parcours de la chorégraphe. Cette pièce charnière prend une forme inhabituelle, une succession de quatre duos qui s'enchaînent sans plus de lien – sans moins non plus – que dans un cycle de lieder. Le troisième moment de Be s'intitule Noce, évocation comme pacifiée de l’amour homosexuel, tranchant plus qu'il n'y paraît avec l'air du temps, tant il est rare d’entendre l'émotion de deux hommes simplement amoureux. Ceux-là le sont, qui n’osent se dénouer de peur de se perdre.

Cette année là, aussi, un jeune homme fait des frasques. Il arbore son perfecto comme une armure, et des tenues pas possibles. Catherine Dunoyer de Segonzac, la directrice de Danse à Lille qui le porte et le protège, mais s'agace parce qu'il en fait trop, a confiance en lui, et raison d'avoir confiance : il crée son premier solo, Cache ta joie !. C'est un jeune danseur qui se découvre chorégraphe : il s'appelle Thomas Lebrun. En 1998, il danse pour Bernard Glandier à qui il dédie ce premier opus, et Glandier ne danse plus. Il souffre de la Maladie de Charcot qui l'emportera à la fin de l'année 2000. Jovial et formidablement humain, Bernard Glandier a continué à travailler, particulièrement attentif à la transmission de ses pièces, connaissant l'issue. La relation de Bernard Glandier et de son jeune et vibrionnant interprète est faite de confiance autant que de bienveillance et cette collaboration fut essentielle pour Thomas Lebrun, jusque dans l'expérimentation chorégraphique : « je montrais mes essais à Bernard et cela le faisait rire, parce que c'était plein de naïveté et que ce n'était pas bon du tout, mais il m'encourageait et il me donnait confiance. » Et un jour, Bernard Glandier lui propose Pouce !, solo essentiel créé en 1994. Pouce ! serait comme la pénitence d'un Sisyphe danseur, dont l'immobilité serait la cime enviée. La pièce impose un rythme intense, repoussant dans un mouvement aussi perpétuel qu'irrépressible l'espace, toujours cherchant l'équilibre, et toujours le perdant. Le danseur y est entraîné malgré lui comme une marionnette dominée par la danse, et sa détresse, qui toujours reviendrait de l'abyme. Thomas Lebrun reçoit le cadeau, avec la consigne, quand il le jugera, de le transmettre à son tour. En 1998, Thomas Lebrun danse Pouce ! Et ceux qui regardèrent dans le détail le déferlement de mouvement de Mille et une danses (pour 2021) purent saisir, à cour, ce petit moment où Lebrun dansait encore le cadeau de Glandier. « En voyant Hugues Rondepierre danser avec Jean Rochereau [ Générations – battle of portraits de Fabrice Ramalingom ; 2022], raconte encore Thomas Lebrun, pendant le spectacle, je me suis dit “c'est lui” et j'ai su qu'il fallait lui passer Pouce !. Je connais Hughes depuis qu'il a 16 ans ; je l'ai suivi quand il était au conservatoire, puis chez Coline [structure de formation du danseur, fondée en 1996, installée à Istres et dirigée par Bernadette Tripier]. Mais j'avais envie aussi de le transmettre à José Meireles qui danse avec Jann Gallois et avec nous. Alors je l'ai transmis aux deux. » Car l'enjeu est fort : « Je n'ai jamais vu danser Bernard, raconte Thomas Lebrun, il me l'a appris en fauteuil roulant, mais il m'a transmis directement Pouce !. Ces deux danseurs ne m'ont jamais vu danser Pouce !. Mais nous devons rester fidèles à l'origine. Cela nous donne une grande responsabilité » ajoute encore Thomas Lebrun.

Mais il faut faire un programme. Alors, il y a Bastin. La collaboration de ces deux « chti » pur jus nous avait valu, en 2006, l'inenarrable Même pas seul. « J'ai toujours rêvé de danser Noce, avoue Thomas Lebrun, et aussi Gueule de Loup [1992]. Noce est une pièce qui m'a marqué. Mais cela ne fait pas encore une soirée. Alors j'ai demandé à Montaine Chevalier [Interprète essentielle de l'œuvre de Bernard Glandier] de transmettre à Emmanuelle Deroo [la danseuse initiale de Thomas Lebrun – en 1994 –, et toujours en activité !] le solo que Bernard lui avait composé dans Faits et Gestes… Voir ci-après [1997]. Et en remontant ce Tù solo tù, Montaine était très bien donc on a décidé de le donner en alternance. » Et comme ces deux-là sont simplement des danseuses exceptionnelles, il aurait été sot de ne point en profiter pour leur tisser un petit quelque chose qui complète adroitement le tout. Ce qui fut fait à partir d'une citation de René Char (qu'aimait beaucoup Bernard Glandier). Comme quoi, tout est simple, et l'année 1998 plutôt intéressante sur le plan chorégraphique. Parce que pour le reste, que reste-t-il de 1998 si l'on excepte la sempiternelle Coupe du Monde ?

Philippe Verrièle

Du 29 mai au1er juin, à 20h au CCNT, Festival Tours d'Horizons

 

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