« Cosi fan tutte » à l’Opéra de Paris
L’Opéra de Paris mise sur le chorégraphique en conviant Anne Teresa De Keersmaeker à réaliser la mise en scène de Cosi fan tutte à Garnier.
Cosi fan tutte est une intrigue sentimentale qui flirte avec les ressorts de la comédie : deux filles prêtes à marier (Fiordiligi et Dorabella), deux galants (Ferrando et Guglielmo), une soubrette plutôt délurée (Despina) et un mentor vieux libertin qui regarde les serments des tourtereaux d’un œil un peu désabusé (Don Alfonso). Le récit pourrait presque être du « boulevard » deux hommes persuadés de la vertu de leurs promises les mettent à l’épreuve, poussés (ou manipulés) par Don Alfonso. Prétendument partis à la guerre, ils réapparaissent déguisés en Albanais, et tentent de séduire la fiancée de l’autre…
Mozart et Da Ponte jouent plutôt sur les incertitudes du désir et la complexité du sentiment amoureux. Se gardant bien de tout jugement, dans la tolérance plutôt que dans la moralité, l’opéra est un chef-d’œuvre de légèreté et de profondeur psychologique. Pour traduire les attentes et les émois des amants, Mozart a su jouer du clair-obscur musical, laissant les timbres de l’orchestre souligner les atermoiements des cœurs, et les voix plonger du rire à la douleur avec une délicatesse, une grâce inégalée.
À partir de là, imaginer la mise en scène d’une œuvre tout en nuances, que rien ne saurait réduire à une lecture définitive, n’est pas chose aisée.
Anne Teresa De Keersmaeker a choisi la page blanche et l’abstraction. L’appel du vide. Sur le plateau nu, entièrement repeint en blanc, et agrémenté seulement de panneaux de plexiglass où un mini mini-bar s’accroche de façon incongrue, la chorégraphe a doublé chacun des six protagonistes d’un danseur. Les costumes sont réduits à l’essentiel : chemises de couleur et pantalons noirs pour les hommes, robes plutôt minimales pour les femmes (et plutôt mal coupées). Despina, Don Alfonso et le Chœur ont droit à quelques touches XVIIIe siècle dans leur tenue.
Les premières scènes, où tout ce petit monde se retrouve à l’avant scène en demi-cercle à se pencher d’un côté et de l’autre est plutôt fastidieux. D’autant que les voix des chanteurs s’estompent à chaque fois qu’ils tournent la tête pour effectuer leurs poses à variables géométriques.
Heureusement l’arrivée de Despina (Ginger Costa-Jackson) vient rompre ce bel ordonnancement et re-insuffle un peu de vie à l’ensemble. Les chanteurs tout comme l’orchestre dirigé par Philippe Jordan sont remarquables. Non seulement ils ont la jeunesse des rôles, mais leurs voix ont une flexibilité qui leur permet d’interpréter toutes les couleurs de la partition. La Fiordiligi de Jacquelyn Wagner est une merveille d’équilibre, jouant avec finesse la demi-teinte, Michèle Losier est une Dorabella intelligente dans son chant et sa physicalité, Frédéric Antoun campe un Ferrrando aussi émouvant dans ses certitudes que dans ses désarrois Philippe Sly en Guglielmo est parfait en séducteur, avec un naturel et un allant formidable. Ginger Costa-Jackson est extraordinaire dans sa voix, son énergie, et sa personnalité et Paulo Szot en Don Alfonso fait plutôt ressortir le côté indulgent plutôt que le cynisme du personnage, sans doute plus en adéquation avec l’esprit dans lequel Mozart et Da Ponte ont conçu cet opéra.
Sur ce plateau aride, Anne Teresa De Keersmaeker, commence donc à animer ces danseurs qui virevoltent autour des chanteurs (ce qui est agaçant), ou courent et forment des diagonales qui parsèment comme autant de taches de couleur l’espace blanc (ce qui est plaisant mais ramène la chorégraphie à une danse d’ameublement), ou encore, s’egayent tout au fond de la scène sans les chanteurs (et là, on les oublie). Dans les passages de récitatifs, les danseurs s’immobilisent, ce qui fige l’ensemble puisque les chanteurs sont prioritairement vers l’avant-scène (pour éviter que leur voix se perde dans l’immensité du plateau désertique ?). Les danseurs feraient-ils voir des intentions musicales que le livret ne traiterait pas ? Rien n’est moins sûr. Car la danse reste formelle, loin de toute émotion. Il ne suffit pas de s’agiter et de faire la roue pour faire entendre les palpitations du cœur, ni de se jeter à terre pour faire comprendre le trouble des sentiments.
Au final, on regrette qu’Anne Teresa De Keersmaeker ait ajouté ses danseurs. Il aurait été sans doute plus judicieux de s’atteler à la gestuelle des chanteurs et de réfléchir à la gestion de l’espace. C’est là où le chorégraphique de la chose aurait eu toute sa pertinence. Car certes, Cosi fan tutte est sans doute moins joyeux, en sous-texte, qu’il n’en a l’air, mais ce n’est pas pour autant une pièce austère. La chorégraphe belge en donne une lecture où la sensualité est aussi absente que le voile de mélancolie bouleversante, pourtant si présente dans l’opéra de Mozart. Bref, il manque de la chair à cette mise en scène, et de la vie. Heureusement, la musique et l’engagement des chanteurs fait tout oublier.
Agnès Izrine
Le 10 février, Opéra Garnier - Jusqu'au 19 février 2017
Fiordiligi Jacquelyn Wagner
Dorabella Michèle Losier
Ferrando Frédéric Antoun
Guglielmo Philippe Sly
Don Alfonso Paulo Szot
Despina Ginger Costa-Jackson
Fiordiligi (Danseuse) Cynthia Loemij
Dorabella (Danseuse) Samantha Van Wissen
Guglielmo (Danseur) Michaël Pomero
Ferrando (Danseur) Julien Monty
Despina (Danseuse) Marie Goudot
Don Alfonso (Danseur) Boštjan Antončič
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