Corinne Dadat, Enora Rivière et Stéphanie Lupo occupent la ZOA
ZOA, la Zone d’Occupation artistique, est un espace de liberté d’expression pour autrices, danseuses et une femme de ménage. Cette dernière s’appelle Corinne Dadat et officie au Lycée Sainte-Marie de Bourges et est devenue une star, depuis sa première apparition sur scène, dans Corps de ballet, en 2013, lors de la deuxième édition de ZOA. En 2015, Mohamed El Khatib reprend ce qui était une petite forme expérimentale et crée une pièce de cinquante minutes au titre on ne peut plus clair: Moi, Corinne Dadat.
Corinne Dadat : On parle métier(s)
Toujours aussi caustique, la technicienne de surface ne se laisse pas faire, et surtout pas par les conventions du spectacle. Elle débarque avec ses ustensiles de travail et les produits d’entretien, accompagnée de la jeune danseuse classique Elodie Guézou et du metteur en scène. En bord de plateau, El Khatib met en scène les libertés de Dadat et donne la parole aux deux femmes qui échangent à propos de leurs métiers respectifs, à la bonne franquette et sans rien cacher des douleurs physiques : « J’ai dit à mon médecin : Tu crois que j’ai le temps de faire un burn-out? Je n’en ai pas les moyens ! ». « Corinne Dadat n’a plus de rêves », commente El Khatib, en live. Et la danseuse? « Je n’ai pas de situation, ni de retraite et même pas le droit de choisir mes rôles. »
À la sortie, c’est Dadat qui signe un livre qui présente des photos et des textes autour d’elle et de ses spectacles. Êre femme de ménage c’est tout un art, la liberté d’expression en plus. Mais justement, cette liberté d’expression qui donne à ce duo son authenticité est en recul, au profit d’une forme qu’on sent un peu plus figée, plus élaborée et donc moins spontanée. C’est le petit danger qui guette Moi, Corinne Dadat, dans la mesure où son real-woman-show est en train de devenir un tube. Il faut savoir déraison garder.
Stéphanie Lupo : Poésie ardente
Autre revenante à ZOA, Stéphanie Lupo. « Je veux parler de la jeunesse qui tombe » disait-elle sur scène en 2012, lors de la première édition. En 2015, elle publie chez L’Arche éditeur un recueil sous le même titre et en tire une performance intitulée Danse ou crêve. Accompagnée à la guitare électrique par Vladimir Kudriavtsev, Lupo rassemble le public en cercle autour d’elle, pour s’adresser parfois individuellement aux spectateurs.
À travers ce long poème dramatique aux accents rabeléso-rimbaldiens, elle nous parle toujours de désillusion, d’art, de sexe, de société… Entre journal intime, road movie, saynètes de film ou de théâtre, poèmes ou brèves d’essais, la forme est aussi libre que la pensée. Son « no future » est plein d’énergie vitale et de désir, une sorte de face cachée car lumineuse de Sarah Kane. À la fin, c’est le corps lui-même qui prend la parole, de façon toute aussi directe et sincère.
Enora Rivière : Motrice
Moteur #1 : Enora Rivière décline à sa manière le genre artistique d’écrivaine-chorégraphe. Epistolaire, poétique et parfois insolente, son enquête sur le métier d’artiste chorégraphique est publiée par le Centre National de la Danse sous le titre Ob.scène – récit fictif d’une vie de danseur. Le terme même d’artiste chorégraphique suggère une sorte d’égalité entre ceux qui conçoivent et ceux qui dansent. Toutes les investigations montrent qu’il s’agit d’une illusion. Ob.Scène… le révèle sans en faire son cheval de bataille.
Du maquillage à la solitude, de l’improvisation aux relations humaines, ce roman rêvé aborde l’existence du danseur sous toutes ses coutures. Sur scène, Rivière se tient presque immobile et laisse parler son écriture, alors que son corps, maintenu dans des postures symboliques, se glisse entre les lignes projetées sur le mur de fond, lignes de texte extraites du livre. Aussi l’édition 2015 de ZOA a scellé l’union entre le livre et la performeuse, piste artistique d’autant plus pertinente qu’ici aucun directeur artistique n’intervient pour réunir artificiellement telle chorégraphe et telle autrice. Celle qui danse et celle qui prend la parole et la plume ne font qu’une. L’unicité fait la force.
Thomas Hahn
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