« Contre-forme » de Marie Orts, Talia de Vries et Roméo Agid
Rendez-vous fut pris, le premier mercredi de juin, à 10h du mat’, au PUC, stade Charléty, avenue Pierre de Coubertin, pour y découvrir la pièce « chorégraphique et plastique » Contre-forme conçue par Marie Orts dans le cadre du projet Desport (Olympiade culturelle), programmée par June Events hors sa Cartoucherie.
La contre-forme, avec ou sans un trait d’union, désigne tantôt l’espace fermé laissé en blanc de certaines lettres, tantôt l’extérieur d’un motif découpé sur un support à deux dimensions, par exemple la partie évidée d’une feuille entourant une silhouette, partie qu’utilisait aussi dans ses collages Henri Matisse. Dans la pièce chorégraphiée et dansée par Marie Orts, Talia de Vries et Roméo Agid, la contre-forme s’oppose à la forme. Non que la petite forme dansée se situe de point en point dans l’informel, mais que la traduction subjective de gestes d’athlètes observés, des semaines durant, par le trio « en immersion » dans l’enceinte de Charléty, ne restitue pas vraiment une performance, au sens sportif du terme. Ici, le fond devient figure, le temps mort vaut le temps fort ou, comme le dit la feuille de salle, « on enlève le milieu », l’action, le point de mire : on décentre.
Le jeune public du premier rang invité un jour de patronage et sagement assis pendant les quarante minutes de l’écoulement sur le revêtement synthétique faisant office de plateau entre un petit terrain de foot et une piste d’athlétisme, a reconnu, à l’issue de la représentation, plusieurs disciplines auxquelles renvoyaient les mouvements et les poses des trois artistes : la course, la natation, la boxe, l’escrime, etc. Celles-ci, transformées, réduites à quelques signes, détournées, recombinées par trois interprètes talentueux et en pleine forme olympienne, n’avaient plus… forme olympique. Plus rien de la prouesse sportive, en effet, la virtuosité le cédant au geste anodin. Plus rien de la lutte pour la victoire, la suite de mouvements étant entrecoupée de gels, de failles et de feintes. Plus rien de la danse même, la structure pouvant sembler informelle. Le vocabulaire a de quoi surprendre, les enchaînements n’obéissant pas aux automatismes auxquels nous ont habitué les chorégraphes contemporains.
Les séquences ne développent pas plus que ça les syntagmes convenus – solos, duos, trios. La composition musicale de Roméo Agid, à base de boucles électro, de bruits divers, de sons de cloche, d’un air de piano romantique, d’injonctions vocales – tops départ, comptes et décomptes – diffusée sur une enceinte Bluetooth, accompagne la chorégraphie sans viser à l’illustrer. La donnée « plastique » de la pièce est illustrée par la scénographie de Goni Shifron, somme toute minimaliste, réduite à quelques acquêts : une cordelette bleue séparant les danseurs du public, une autre, orange, bordant le terrain de jeu, des tapis et une bande de tissu d’un même bleu. Ces bleus et orange qu’on trouve en ce moment sur certaines affiches de la Ville de Paris, qui se substituent aux rouges et bleus ; ces oranges bleues qui rappellent le film de Tintin réalisé par Philippe Condroyer en 1964 ; ces lignes strictes délimitant l’espace des jeux, symboles colorés et graphiques des disciplines qu’on retrouve dans les propositions d’un artiste contemporain comme Gilles Élie.
Contre-forme est un spectacle plaisant à voir. Marie Orts y stylise le geste sportif. Roméo Agid, par ses déplacements latéraux, mécaniques, sa pantomime d’arbitre des élégances, fait preuve de talent comique. Talia de Vries est d’une justesse phénoménale dans sa locomotion comme dans son immobilité. Le trio évolue en toute autonomie, se frôle sans se toucher, si ce n’est au final, très sensuel, que nous ne dévoilerons pas. N'était le cadre, les shorts et les maillots usés de coureurs de fond, les baskets que chaussent nos va-nu-pieds de danseurs au mitan de leur prestation, les allusions aux rites, aux tics, aux exercices sportifs plus qu’aux exploits, la pièce est originale et peut, sans problème, être donnée dans tout autre lieu – y compris dans un théâtre à l’italienne. Sa durée est raisonnable, ses interprètes, convaincants ; son côté sans façon le dispute à la rigueur, en appelle à l’abstraction.
Nicolas Villodre
Vu le 5 juin 2024 au stade Sébastien-Charléty, à Paris.
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