« Coltrane Formes » de Jean-Christophe Boclé
Jean-Christophe Boclé fait de la danse jazz. De la vraie danse contemporaine et du vrai jazz… Ce qui oblige à résoudre une équation redoutable : composer la danse en écho à une musique en permanente invention. Brillant.
Pour qui sait voir, Coltrane Formes de Jean-Christophe Boclé a tout pour piquer les oreilles de la bienséance chorégraphique en vigueur. Pas d’outrance, pas d’ostentation dans la provocation, mais une attitude de créateur qui pose de vraies bonnes questions dérangeantes. Par exemple, comme vraiment danser sur du jazz… Pas la musique de variété aseptisée et hâtivement affublée de l’étiquette jazz pour autoriser diverses agitations bien rythmées de jeunes filles attirées par les costumes et les émissions de télé. Non. Du jazz exigeant, construit autour de l’improvisation, de ce jeu de surprises entre interprètes rivalisant dans la construction commune, rompant la logique sommaire de la mélodie pour explorer le rythme autant que la sonorité. Du John Coltrane par exemple.
Donc le quatuor entre. Guitare, basse, batterie et saxophone. Il s’agit dans l’ordre du trio de Nelson Veras, Gildas Boclé, Simon Bernier que complète Ricardo Izquierdo. Ils se disposent au coin haut de cour et commencent. Quand les deux danseurs rejoignent le plateau, l’atmosphère d’écoute et d’attention est à peine troublée de leurs balancements. Comme des spectateurs qui, entraînés par la pulsion, auraient quitté leur siège autant que leurs chaussures, mais avec le soin de s’intégrer harmonieusement à la musique. La fluidité du mouvement, une précisions dans le placement des appuis sur les temps fort, une orientation des corps plus marquée vers les musiciens que vers le public : avec un peu d’attention, il apparaît rapidement que ces deux qui dansent n’y sont ni par hasard ni indifféremment à ce que jouent les jazzmen. Mais s’il perçoit un écho de la musique dans la gestuelle, le regard peine à lire les règles du jeu.
Rapidement, avec des unissons surgissant de façon impromptue, dans l’adéquation des trajectoires et des occupations d’espaces, dans la subtilité des effets de constructions décalées ou orientées, le doute disparaît. Quoique libre et apparemment très aisée, cette danse a été très soigneusement composée et les deux interprètes, Pauline Bigot et Steven Hervouet dont il convient de souligner la performance, trouvent repères et correspondances à la fois entre les patterns gestuels qu’ils doivent interpréter et les structures de la musique. A cette nuance que le quatuor joue du jazz et donc improvise, et que Coltrane n’offre pas ces repères aisés d’une mélodie simpliste.
Plus la pièce avance –parfois en solo, en général en duo- plus le dialogue des danseurs avec les musiciens se développe et s’enrichit, plus l’œil s’étonne d’y trouver des correspondances qui paraissent magiques faute d’explication apparente. Les danseurs pourraient tenir une partie au sein du quatuor et si les musiciens ne bougent pas –il y a quelques déplacements mais cela reste marginal - ils épousent néanmoins les évolutions de la danse.
Toute la richesse de ce Coltrane Formes est dans cette interrogation permanente sur la « fabrique de la connivence » et sur l’invention des moyens de correspondance de la danse à la musique. Jean-Christophe Boclé baigne dans l’univers du jazz -deux de ses frères en jouent- et il confie que le thème Lonnie’s lament de John Coltrane s’était invité dans son oreille un jour de répétition. « Cet instant de musique avait induit des interrogations sur les capacités et les incapacités humaines à dégager l’Être de ses soumissions aux habitudes du corps et autres mémoires intemporelles » écrit le chorégraphe, avant de reconnaître cependant la complexité du dispositif.
Plusieurs modules coexistent, avec une très grande sophistication dans les façons d’établir l’accord sans qu’à aucun moment un mode prenne le pas sur l’autre ; il ne s’agit ni d’une danse sur la musique, ni d’une musique qui suit la danse et cela reste du jazz avec sa logique d’improvisation tandis que cela reste une composition chorégraphique avec sa rigueur. Une performance au sens étymologique de « mettre en forme » mais aussi au sens commun de « il faut le faire » !
Philippe Verrièle
Vu le 28 septembre 2018 à Micadanses dans le cadre de Bien Fait !
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