Chloé Zamboni crée « Quelques choses ». Entretien.
À l’Atelier de Paris CDCN, la chorégraphe toulousaine interroge notre rapport aux objets du quotidien. Elle répond ici à nos questions.
Nos relations aux objets peuvent passer par quelques fantômes. Et soudain, ces cruches et autres ustensiles du quotidien imposent au trio autour de Chloé Zamboni des rapports conflictuels, voire inversés. Quand la salle à manger se met soudainement à avaler ses invités…

Danser Canal Historique : Vous êtes en train de préparer votre nouvelle création, Quelques choses. Quel en est l’objet, justement ?
Chloé Zamboni : Je vois ce trio chorégraphique comme une sorte de fable absurde qui vient questionner le rapport que nous, humains, pouvons entretenir avec nos espaces quotidiens, nos espaces d'intimité, et avec les objets que nous activons en permanence dans nos vies. Jusqu'où ces objets et ces espaces parlent de nous ? jusqu’où parlent-ils de nos caractères, de nos souvenirs et peut-être de nos besoins de nous rassurer, de confort, de sécurité ? Aurions-nous besoin d’eux pour parer un certain chaos dû à cette absurdité qui est synonyme de la vie ? L'intention en tout cas est d’interpeller les spectateurs et les spectatrices autour de ces questions-là.
DCH : Vous n’avez donc pas conçu ces objets pour le spectacle, mais utilisez plutôt des choses de la vie de tout le monde ?
Chloé Zamboni : Oui, complètement. Au début, je suis arrivée avec des valises pleines d'objets que je suis allée chiner dans des Emmaüs. Pour la plupart, ce ne sont que des objets de seconde main, qui ont déjà eu une vie avant qu'ils deviennent des objets de la scénographie. Au final, il reste des objets qui peuvent parler à tout un chacun, qui sont plutôt dans nos cuisines, dans nos salles à manger. Il y a beaucoup de contenants et des contenus, des tissus et autres objets qui ramènent aussi aux qualités du corps.

DCH : Vous parlez de scénographie. Ces objets sont-ils donc nombreux ?
Chloé Zamboni : Une trentaine environ, en effet. Ils sont plutôt de petite taille, mais peuvent vibrer de récits. Tout s’est déclenché quand ma grand-mère est décédée. Avec mon père, j'ai vidé la maison dans laquelle elle a vécu ses trente dernières années. Et du coup, j'ai ressenti quelque chose de très spécial. Déjà, j'étais endeuillée et pas forcément dans mon état normal, ce qui a peut-être favorisé ce sentiment bizarre que je n'arrive pas à décrire, comme si ma grand-mère était quand même encore un peu là, à travers ses objets. Aller dans la cuisine où tout était encore disposé, c'était comme si on sentait encore le mouvement, le geste, presque les fins d'odeurs de la cuisine. Il y avait aussi les robes dans son placard qui attendaient d'être activées par leur propriétaire. Ça m'a dit que les objets peuvent vivre plus longtemps que nous, sauf si on les maltraite. Se posent donc des questions autour de ce qui est permanent et ce qui est impermanent.
DCH : On pourrait donc dire que les objets du quotidien rentrent dans cette création comme les gestes de la vie sont entrées dans la danse à la Judson Church, il y a soixante ans ?
Chloé Zamboni : Oui, en ce sens c'est assez proche de ce que nous faisons. Dans la première partie de la pièce, il y a comme une tentative de comprendre l'usage de l'objet. Puis petit à petit, on va aussi essayer de comprendre les limites de cette relation avec l'objet. Et tout ce traitement, tout cet exercice de réflexion autour de l'objet m'a amenée à ouvrir et à créer des outils chorégraphiques qui sont devenus le langage de la pièce.

DCH : Il existe des courants philosophiques où l’on considère que les objets aussi ont leur vie et quelque sorte leur âme et ne sont donc pas à considérer comme des choses mortes, mais comme des partenaires. Ce qui est une façon de déconstruire l’anthropocentrisme.
Chloé Zamboni : J'aime bien me dire qu’il pourrait exister une sorte de fréquence impalpable entre les objets et les corps, quelque chose d'invisible mais très vibrant qui serait du récit et du charnel. C’est pourquoi, dans un premier temps, nous arrivons dans un espace où nous découvrons les objets tels des laborantins, des chercheurs, comme si nous arrivions quelque part où ces objets existent déjà depuis des millions d'années. Et nous nous mettons au service de l'objet. Et puis, plus ça va, plus on va être avalé par cette table et par sa nappe. Ensuite, dans la dernière partie de la pièce, c'est une volonté de plutôt venir créer quelque chose d'horizontal où objet et corps évoluent sans rapport hiérarchique. Parfois nous sommes même comme malmenés par l'objet.
DCH : Nous sommes donc dans une sorte de révolution culturelle ?
Chloé Zamboni : Je suis une femme blanche française, avec son contexte spécifique. Mais j’ai voulu trouver des objets universels. Je veux autant questionner l'usage de l'objet que son contexte, et en quoi il fait récit. Par exemple, il y a une cruche en terre cuite qui est très connotée dans la tradition française. Et pourtant, si cette cruche est vue dans d'autres pays et d'autres cultures, le public devrait quand même pouvoir s'identifier à cet objet-là.
DCH : Vous êtes trois sur le plateau, face à tous ces objets du quotidien. Que pouvez-vous d’ores et déjà dévoiler quant à votre partition chorégraphique ?
Chloé Zamboni : Nous sommes trois corps, trois personnages un peu indéfinis, à la fois des êtres du présent, du passé et du futur qui vont créer des mouvements et une présence gestuelle spectrale, un peu fantomatique. On va essayer de mettre en place un langage avec ces objets-là, donc rentrer dans une sorte de rituel organisé. Et puis, petit à petit, la mécanique huilée va se désintégrer et les objets vont en quelque sorte commencer à nous diriger.

DCH : Est-ce douloureux ?
Chloé Zamboni : On va se faire absorber par cette table et devenir un gros monstre qui va dégueuler, régurgiter les objets et du coup essayer de cohabiter avec eux. Donc, c'est vraiment une espèce de monstre de chair et de choses qui se crée. Et de là vont naître trois fantômes bien distincts.
DCH : Ces fantômes sont-ils également musicaux ?
Chloé Zamboni : La musique est une composition originale d’Antoine Mermet à partir de sons d'objets. Elle accompagne tout le trajet de la pièce, allant de sons bruts vers toujours plus de musicalité et quelque chose de charnel. Nous nous inspirons aussi des univers de Francis Ponge et Georges Pérec autour des objets du quotidien et du banal. Ils font partie de nos ressources, mais nous ne diffusions aucun de leurs textes. Le texte qu’on entend lors de l’apparition des trois fantômes est une création originale pour Quelques choses.
Propos recueillis par Thomas Hahn
Quelques choses de Chloé Zamboni en étroite collaboration avec Marie Viennot et Joachim Maudet
Atelier de Paris CDCN, les 27 et 28 novembre 2025
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