Chaignaud-Bengoléa : Dub Love
« La danse est un effort. Dans Dub Love, nous utilisons les pointes comme arme de résistance et pour confronter le plaisir de danser au défi de la douleur. » écrivent François Chaignaud et Cecilia Bengolea dans le dossier de presse de Dub Love. On s’étonnera toujours de ce cliché à la vie dure qui associe danse classique et pointes à douleur. Voire, comme dans cette phrase « effort » et « douleur ». Comme si les danseurs classiques étaient tous des masos et les contemporains des hédonistes impénitents. Comme si la danse classique n’était que contrainte et la danse contemporaine que liberté… On laissera donc au lecteur le soin de méditer sur de tels stéréotypes.
Galerie photo de Laurent Philippe
En attendant, ce qui est certain, c’est que l’usage des pointes dans Dub Love est risqué. En montant sur la plate-forme du chausson sans jamais engager le cou-de- pied, soit avec les pieds « en fer à repasser » la tension musculaire est maximale, totalement anti-anatomique, le poids du corps reposant entièrement les tendons de la cheville et le bout du pied. Du coup, ce nouvel usage des pointes renverse tous les codes et crée une tension, une friction que le rythme et l’intensité du Dub suggère. Car Dub Love est tout autant une pièce musicale que chorégraphique.
“Le dub, considéré comme la matrice de toutes les musiques électroniques, est né à la fin des années 60 en Jamaïque. C’est une erreur qui serait à l’origine du dub. Lors d’une soirée, King Tubby a joué un disque sur lequel n’avaient été gravées que les pistes instrumentales, omettant les pistes vocales. (…) Le dub est actuellement joué à l’occasion de grands rassemblements qui permettent l’installation de puissants sounds systems. L’intensité des vibrations émises par ces systèmes, leur impact physique et leur puissance fédératrice ont fait de ces musiques des événements spirituels, politiques et religieux, bien plus que de simples divertissements. »
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Mais le truc du Dub, c’est d’être mixé en direct à partir de morceaux composés en studio installés sur différentes « pistes », donnant à la musique une sorte de mouvance perpétuelle à laquelle les corps s’accordent, s’accrochent, se lovent justement ! Et ces pointes utilisées comme des entraves empêchant sans cesse le corps de se laisser aller à la musique et au mouvement est une trouvaille de taille. Aucune élévation mais une sorte de déséquilibre assumé qui produit une gestuelle angulaire et heurtée qui sert de carcan à un désir de fluidité et d’essor induit par la musique. Et tandis que le DJ réunionnais de High Elements mixe un dub qui swingue, envahit l’espace et chaloupe, les corps restent au bord du son, créant un rapport où la danse apparaît sobre, embarrassée, comme serrée dans ces justaucorps chair ni dessous, ni maillots qui font ressortir l’idée du travail plus que l’aisance, la maîtrise du mouvement ou l’effacement de l’effort, apanages de la danse classique en tout temps et en tout lieux. S'enchevêtrant dans d'étranges figures, évoquant les Grâces de Boticelli revues par Picasso, les trois danseurs, François Chaignaud, Cecilia Bengolea et Anna Pi, sont exceptionnels dans cette mise en danger permanente que suscite Dub Love.
Galerie photo de Laurent Philippe
Finalement, les danseurs chantent, et François Chaignaud impressionne comme d’habitude par le naturel extraordinaire de sa voix ductile, qui, contrairement à la danse, affiche une facilité impressionnante.
Et la pièce finit en beauté, laissant une empreinte durable dans l’imaginaire chorégraphique, ouvrant vers d’autres possibles ou des régions inexplorées de la danse.
Agnès Izrine
Du 5 au 7 février aux Subsistances dans le cadre du MOI de la Danse.
Du 26 au 28 novembre 2013. Ménagerie de Verre – Les Inaccoutummés.
Retrouvez François Chaignaud dans Dumi Moyi Festival d’Automne à Paris, du 4 au 8 décembre à la Maison de l’Architecture. Lire aussi : http://dansercanalhistorique.com/2013/07/09/%D0%B4%D1%83%D0%BC%D0%B8-%D0%BC%D0%BE%D1%97-dumy-moyi-de-francois-chaignaud/
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