Cédric Andrieux, un directeur heureux. Entretien
Le Ballet de l’Opéra de Lyon est à l’honneur en ce mois de décembre à Paris. L’occasion de donner la parole à son directeur, Cédric Andrieux, pour qu’il nous parle de cette superbe compagnie et de ses perspectives.
DCH : Cédric Andrieux vous avez-pris les rênes du Ballet de l’Opéra de Lyon il y a maintenant un an et demi, après y avoir été danseur. Comment le vivez-vous ?
Cédric Andrieux : Ce n’est pas neutre, même si je commencerais presque à en prendre l’habitude, après le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris que j’avais quitté adolescent avant d’y revenir adulte à la direction de la Danse ; ce qui était encore plus troublant. À la direction du Ballet de l’Opéra de Lyon, il y a quelque chose de plus familier. Comme si je n’étais pas parti depuis si longtemps. D’autant que j’y ai travaillé entre temps à plusieurs reprises, par exemple assister Jérôme Bel. J’avais gardé un lien. D’ailleurs, quand j’ai pris mes fonctions, il y a un an et demi, il restait des danseurs avec lesquels j’avais partagé le plateau. Pour moi, c’était une continuité assez naturelle et j’étais de plus enthousiaste en découvrant l’équipe de l’Opéra en général, une vraie maison d’opéra, de danse. Et je retrouvais des enjeux que j’avais déjà développés comme la production. Et j’ai senti une réelle attente de tous les membres de cette maison quant à mon diagnostic et mon projet.
DCH : Quel est donc votre diagnostic ? Comment avez-vous trouvé le ballet ?
Cédric Andrieux : Ce sont des personnes très matures. J’ai eu également la chance d’avoir de nouveaux artistes à recruter. Nous avons donc sept nouveaux interprètes, puis à la suite de promotions internes et de reconversions, nous en avons neuf de plus pour cette saison, donc notre effectif a été renouvelé de moitié. Et j’ai aussi une responsabilité très importante vis à vis de ceux qui sont là depuis dix ou douze ans et qui traversent ce répertoire, tellement vaste, dont leur corps est le réceptacle mémoriel. C’est pourquoi ils sont si précieux au sein d’un ballet comme celui-ci.
DCH : Vous parliez d’enjeux de production. Comment les appréhendez-vous avec le Ballet ?
Cédric Andrieux : J’avais travaillé dans la production et la diffusion des œuvres, notamment à Nanterre-Amandiers ou au CND, j’avais donc une expérience de la difficulté à trouver des coproducteurs et des dates de programmation. Or, les tournées du ballet ont redémarré merveilleusement. Nous avons la spécificité par rapport à d’autres maisons d’Opéra d’avoir une diffusion un peu inversée, avec 70 représentations dont 25 à Lyon. C’est pourquoi j’ai également l’ambition de développer le réseau de proximité afin d’inscrire la compagnie dans une forme de responsabilité écologique. D’autant plus que la Région Auvergne-Rhône-Alpes est riche de formidables équipements, que ce soit la Scène nationale d’Annecy, de Chambéry, de Grenoble, de Valence ou de Clermont-Ferrand. La Bourgogne est également un partenaire important avec Mâcon, par exemple. Nous affichons également une belle présence parisienne, avec des partenaires sur lesquels nous pouvons compter comme La Villette ou Le Théâtre de la Ville, mais aussi Chaillot Théâtre national de la Danse, ou le Théâtre des Champs-Elysées. Et nous nous déplaçons beaucoup à l’étranger À New York ou Macao la saison dernière, à Berlin, Dresde et Rome en 24/25. Donc c’est un bel équilibre. Ça correspond aussi à l’ADN de la compagnie qui est comprend quatorze nationalités différentes.
DCH : Pensez-vous que les Ballets doivent avoir, comme les CCN, un rôle en matière de médiation culturelle ou de ressource danse sur le territoire ?
Cédric Andrieux : J’avais déjà travaillé la question de la médiation culturelle au Conservatoire, donc l’idée d’artistes assez engagés dans la société. À mon arrivée, nous avons organisé quatre jours de séminaire ensemble pour déterminer où nous voulions nous situer collectivement. Et le désir de ne pas s‘enfermer dans une bulle, ni même dans un théâtre où seuls quelques uns peuvent accéder est revenu souvent. Nous avons donc très vite mis en place un partenariat avec les hôpitaux de Lyon, nous proposons des ateliers dans un service d’enfants hospitalisés, puis pour un collège. Pour les journées du Patrimoine nous avons lancé une « barre » dans la Cour de l’Hôtel de Ville, et j’étais très heureux que les Lyonnais s‘emparent de ce ballet internationalement reconnu qui est aussi le leur.
DCH : Au CNSMDP vous étiez très attentif à la santé des danseurs. Avez-vous le même souci ici ?
Cédric Andrieux : C’est un peu mon cheval de bataille et j’avais énormément développé le pôle santé au Conservatoire. Ici, l’enjeu était comment accompagner mieux la deuxième maison d’Opéra de France. Nous avons déjà une formidable équipe, une vraie chance ! Avec un ostéopathe qui suit la compagnie depuis une vingtaine d’années et est un vrai magicien, une kiné qui était auparavant à l’Opéra de Paris, et un autre avec lequel j’ai travaillé au Conservatoire qui a déménagé à Lyon. En plus de ces trois personnes il y a un professionnel qui nous accompagne sur un plan plus psychologique qui avait été mis en place en « post-covid ». C’est très apprécié des danseurs et danseuses, et mon objectif, est de créer un véritable plateau santé au sein de l’Opéra avec tout l’équipement que nous nous devons d’avoir. Il faut dire que le répertoire de la compagnie est si étendu, de Trisha Brown à Forsythe en passant par Merce Cunningham ou des chorégraphes très contemporains, comme François Chaignaud, Nacera Belaza (qui viendra créer une pièce en juillet 2025), Christos Papadopoulos ou Marlene Monteiro Freitas, programmés en ce moment à Paris, qu’il leur faut avoir un corps solide, bien disposé, adaptable, bien suivi.
DCH : Où voulez-vous les emmener ?
Cédric Andrieux : Ce n’est pas comme si j’arrivais dans un endroit qui n’était pas porteur d’une histoire, il y a eu Françoise Adret, Yorgos Loukos, et Julie Guibert, même si cette dernière a occupé ce poste sur une courte période. Ce sont des danseurs aguerris à tous les styles. Nous avons l’un des plus beaux répertoires de compagnie au monde, donc il faut continuer de tisser des liens avec William Forsythe, Jiri Kylian, Mats Ek, Lucinda Childs, le Cunningham Trust, la Trisha Brown Company et même Pina Bausch avec une pièce prodigieuse, Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört (Sur la montagne, on entendit un hurlement) remonté pour la compagnie en 2022 !
J’aimerais me reconnecter avec Maguy Marin qui avait créé pour le Ballet cette petite pièce extraordinaire qui s’appelait Face, et je souhaitais inviter Ohad Naharin, dont nous allons faire entrer Last Work au répertoire en avril 2025, et Sharon Eyal, car ce sont des écritures actuelles très fortes, et très appréciées dans la communauté des danseurs. Il est vrai que c’est un apport non négligeable au niveau technique qu’il ne faut jamais perdre de vue, un rapport à la performativité et l’invention d’un vocabulaire. C’est aussi le cas d’un David Dawson qui crée des ballets sur pointes ce qui m’intéresse. Il ne faut pas oublier que le Ballet de l’Opéra de Lyon dansait Second Detail et Limbs Theorem de Forsythe magnifiquement et je voudrais renouer avec ces accointances. Mais Françoise Adret et Yorgos Loukos avaient surtout su développer une maison de créations en étant alertes aux artistes les plus en pointe de leur temps. Aujourd’hui, ils s’appellent, outre ceux déjà cités plus haut, Mercedes Dassy, Marco Da Silva Ferreira, Jan Martens, Katerina Andreou ou Imre et Marne van Opstal que l’on connaît moins ici mais sont tout à fait saillants dans le paysage chorégraphique actuel. En fait, j’aspire à les emmener dans une variété de propositions à la hauteur du talent pour lequel ils sont recrutés ici.
Ensuite ce qui est important à mes yeux, c’est aussi de fluidifier la communication, améliorer le cadre de travail, être attentif à la façon dont les gens se parlent, ou à comment on prend soin les uns des autres. Et comment on articule cette problématique de mobilité et d’écologie qui me tient particulièrement à cœur, et d’équilibre budgétaire.
DCH : Aujourd’hui, on entend ici et là, des directeurs de ballet ou des chorégraphes qui disent avoir des difficultés à créer avec ou à diriger danseurs et danseuses qui n’acceptent plus totalement leur rôle d’interprètes. Qu’en pensez-vous ? Rencontrez-vous ce genre de problèmes ?
Cédric Andrieux : Je sais qu’aujourd’hui il y a des tensions sur les questions d’autorité, de genre, de pouvoir, de harcèlement moral ou sexuel mais je n’ai pas du tout ce type de problème avec la compagnie. Il est impossible aujourd’hui de vouloir imposer à des danseurs et danseuses des injonctions ou des décisions sans les expliciter un minimum. Et ça me paraît normal. Il faut bien avouer que les comportements anciens de professeurs, de chorégraphes, ou de maîtres de ballets n’ont pas toujours été respectueux, et c’est un euphémisme. Peut-être en France sommes nous un peu en retard par rapport à d’autres pays. Il se trouve que j’ai passé dix ans aux États-Unis où les problématiques du racisme, de la discrimination, étaient déjà très présentes dans les années 90-2000. Par ailleurs, je pense qu’il faut créer d’abord un rapport de confiance. Et ne pas les prendre pour des idiots. Ce sont des artistes très engagés, très intelligents, très bien formés, qui travaillent énormément et sont à la hauteur de l’exigence qui leur est demandée, voire parfois au-delà. Il faut une éthique en face de cette pression. Mais c’est aussi au moment du recrutement qu’il faut évaluer pourquoi cet individu vient ici ou là. C’est pourquoi l’entretien est capital. Aujourd’hui, j’ai regardé le cours. Les trente sont présents du début à la fin du cours, et ont un niveau de virtuosité exceptionnel. Ils sont exceptionnels !
Propos recueillis par Agnès Izrine
"Mycelium" de Christos Papadopoulos par le Ballet de l'Opéra de Lyon au Théâtre de la Ville, Paris, du 18 au 22 décembre 2024.
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