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« Ce qui nous traverse » de Nawal Aït Benalla

Une marche, un rythme, un monde qui vacille. Dans Ce qui nous traverse, Nawal Aït Benalla chorégraphie nos tensions contemporaines, entre pulsation urbaine et élans spirituels.

Dans Ce qui nous traverse de Nawal Aït Benalla, tout commence par… une traversée ! Marchant au son d’un métronome qui pulse à 120 sur une diagonale très affirmée, les cinq interprètes sont en ordre de marche pourrait-on dire, tant l’allure est martiale et sans affect aucun. Pourtant, tout en gardant le rythme, le vocabulaire très personnel déployé par la chorégraphe induit une perversion dans cette belle discipline. D’une part en acculturant plusieurs styles ensemble, sans pour autant les mélanger. D’autre part, en infléchissant le mouvement lui-même, qui apparaît à la fois très tenu dans ses lignes et très relâché dans son exécution.

Ainsi apparaissent des petits battements et des grands, très classiques, des isolations issues du jazz, des sauts sur place tête baissée qui pourraient tout autant ressortir à un dévoiement de figures cunninghamiennes qu’à de la danse traditionnelle, ou des petits pas en presque Chorus Line épaules levées, qui, nous dira Nawal Aït Benalla, sont issus de la danse berbère. Les groupes se forment et se dissolvent presque instantanément, suscitant un imaginaire urbain, que bientôt, le rythme implacable, les marches forcées, les corps secoués, voire éclatés, viennent concrétiser.

S’y ajoutent des danses de village, presque carnavalesques, où danseurs et danseuses finissent par devenir leurs propres pantins tant leurs gestes sont désarticulés. Ces cadences infernales et cette mécanisation des corps nous rappelle notre monde, ici ou ailleurs, quand des foules se croisent sans se voir, laissant se propager fureur et tremblements. Ce sont nos Temps Modernes à nous, et nous sommes aussi ravagés de tics que l’ouvrier chaplinesque. Est-ce donc Ce qui nous traverse ?
 

Soudain un rideau noir tombe en fond de scène, tandis que trois projecteurs s’allument à cour, isolant davantage le solo d’un danseur de dos ou de profil, dont on ne sait s’il s’agit de popping, de wave ou de souvenirs du Lac des cygnes, tandis que les frappes métronomiques et la composition d’Olivier Innocenti se pare d’éclats de L’Adagio de Samuel Barber.
L’écriture chorégraphique se fait alors tout en pleins et en déliés, d’étirements en élans, avec des surprises comme ces tours sur les genoux. Un solo aux allonges sensuelles se prolongeant en cambrés au sol, suivi d’un trio et de duos  alternent mouvements extatiques et passionnés, tandis que L’Adagio de Barber envahit le plateau, dans différentes versions, y compris chantée avec les paroles de l’Agnus Dei, tandis que danseuses et danseurs oscillent entre spiritualité et sensualité. Le tout comme un remède à la désespérance et à la technologie ambiante.

Galerie photo © Julie Cherki

Dans ce dernier tableau, la pièce semble se défaire de sa mécanique initiale pour laisser affleurer une humanité sensible, traversée de réminiscences et de désirs. La spiritualité n’y est jamais dogmatique, la sensualité jamais démonstrative : elles cohabitent dans une matière chorégraphique qui respire, qui s’élève, qui s’abandonne. Ce qui nous traverse, alors, ce n’est plus seulement le rythme ou la mémoire des gestes, mais une forme de résistance poétique à l’effacement. Une manière de réaffirmer, par le corps, notre capacité à ressentir, à relier, à exister autrement.

Agnès Izrine
Le 15 octobre 2025, Théâtre Silvia Monfort. Jusqu’au 18 octobre.
Les 6 et 7 novembre à Châteauvallon-Liberté, scène nationale, les 16 et 17 décembre Théâtres de la Ville de Luxembourg.

Distribution
Chorégraphie Nawal Aït Benalla
Danseur·ses Elie Fico, Alba Fracchia, Marion Frappat, Alfredo Gottardi, Rachele Pinzan

Musique Concept Nawal Aït Benalla
Composition, arrangements Olivier Innocenti
Musique additionnelle Samuel Barber

Création lumière Laïs Foulc

 

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