« Casse-Noisette » de Rubén Julliard par le Ballet national du Rhin
Le Ballet de l’Opéra national du Rhin nous offre une nouvelle version de Casse-Noisette qui revivifie ce ballet, tout en l’ancrant dans la singularité de cette compagnie, à la fois CCN, à la fois Ballet de l’Opéra national avec tout ce que ça comporte d’opportunités pour monter un tel spectacle ! À commencer par la présence de l’orchestre dans la fosse, dirigé par Sora Elisabeth Lee, pour jouer ce chef-d’œuvre musical de Tchaïkovski.
Mais pour débuter évoquons la chorégraphie et le livret. Contrairement à toute idée préconçue, les nombreuses versions de Casse-Noisette ne sont pas forcément aussi féériques que l’on suppose. À commencer par celle de Noureev, toujours donnée à l’Opéra de Paris. Les versions russes voire américaines (comme celle de Balanchine) ont conservé le défaut d’origine déjà en cause en 1892, à savoir : « que peu de matériau pour les danseurs » selon le critique d’art Skalkovski. Et il est vrai que l’importance de la pantomime, surtout au premier acte, souvent dansé par des enfants, réduit la danse à quia.
L’idée de Rubén Julliard, chorégraphe et danseur au Ballet de l’OnR depuis 2019, de transformer le livret pour laisser plus de place à l’innovation dramaturgique et chorégraphique est donc un succès. Dans sa version, M. et Mme Drosselmeyer, un couple d’inventeurs excentriques et loufoques, fabriquant des jouets dans leur maison-atelier, invite leurs amis pour le réveillon. La petite Clara, leur filleule, furieuse de ne pas être de la fête, suit ses parents et arrive transie sur les lieux… Mais les Drosselmeyer ont plus d’un tour (de magie) dans leur sac et transforment cette soirée en aventure extraordinaire…
Crédit photo © Agathe Poupeney
Le premier défi était de rendre lisible cette nouvelle histoire, ce que Rubén Julliard et Éline Malègue à la dramaturgie ont parfaitement réussi. La gestuelle développée par le jeune chorégraphe, qui fait appel à toutes les techniques qui l’ont traversé pour typifier ses personnages, est parfaitement bien vue, et ce mélange produit un vocabulaire tout à fait original, qui emprunte certes au classique et à Mats Ek, à Forsythe et même à Naharin dans les torsions hyperfluides des corps, mais aussi, de façon plus surprenante, au hip-hop, à la comédie musicale, et même à Crystal Pite pour certains ensembles, comme celui des invités se mettant à table dans des mouvements décomposés/recomposés.
Arrivant à une cohérence bien menée, entre un premier acte qui se situe dans un réel assez fantastique, et en ce sens fort proche du conte original Hoffmannien, qui convoque des sortes « d’effets spéciaux » où les poupées prennent vie, et un deuxième acte plus féérique, mais dans un univers proche du précédent et qui reprend et développe le même imaginaire, avec notamment des running gags, comme celui où les Drosselmeyer et Clara poursuivent les rats qui ont enlevé Casse-Noisette. Les scènes s’enchaînent à merveille, car la danse reste le dénominateur commun et fédérateur. Ainsi, la plupart des personnages comme la Princesse Pirlipat et son « tutu de lumière » sont déjà apparus. Dans le deuxième acte, Rubén Julliard voulait éviter les clichés des danses espagnoles, russes et orientales. Mais comment résister aux sinuosités de la partition de Tchaïkovski dans cette dernière ? En écoutant la musique justement, où l’on entend, en fin de phrase, le bruit de la cascabelle du serpent à sonnette. Et voilà nos danseuses transformées en crotale dont elles épousent ensemble les courbes flexibles, les ondulations et les méandres dangereux. Pour le Trepak (danse russe) c’est un personnage incroyable appelé Slinky, un jouet en plastique en forme de ressort aux couleurs de l'arc-en-ciel à la fois bondissant et tout en extensions, aux membres hypertrophiés, un peu métamorphe, bref, une vraie trouvaille ! Tout comme cette immense danseuse espagnole revendicative qui se révèle être un couple. Il y a aussi Arlequin et Colombine, un clown un peu bougon et une clownesse, et comme on est en Alsace… Une Alsacienne et sa coiffe imposante !
Crédit photo © Agathe Poupeney
Scénographiquement, nous retrouvons le même souci de moderniser le conte. L’esthétique de l’atelier des Drosselmeyer qui a quelque chose des manufactures du XIXe siècle réaménagées en loft est bien trouvée, et les éclairages qui l’animent font totalement partie du décor. Celui du 2e acte avec ses paquets surdimensionnés et dorés, est aussi parfaitement abstrait qu’évocateur de Noël. Mais surtout, tout a été réalisé dans les ateliers de l’Opéra national du Rhin et c’est une performance qu’il convient de saluer. En ce qui concerne les quelques 150 costumes qui ont été conçus pour cette production, certains ont été recyclés, d’autres créés de toutes pièces (comme Slinky !). La partition dirigée par Sora Elisabeth Lee, première cheffe d'orchestre en résidence à l'Opéra Studio à la tête de l'orchestre et la maîtrise de l'OnR est toujours aussi magnifique et addictive !
Et bien sûr, tout cela ne serait rien sans l’excellence des danseurs et danseuses, des solistes comme des ensembles. Clara Di He est parfaite dans le rôle de Clara, tout comme Cauê Frias dans celui de Casse-Noisette ainsi que les Drosselmeyer que sont Susie Buisson et Erwan Jeammot, mais aussi la Princesse Pirlipat de Julia Weiss et le Roi des rats de Marc Comellas. Bref, c’est une belle soirée qui plaira tout autant aux enfants qu’aux parents, grâce à son inventivité et à son charme très particulier.
Agnès Izrine
Vu le 8 décembre 2024 à l’Opéra national de Strasbourg, jusqu'au 13 décembre 2024.
Du 20 au 23 décembre 2024 à la Filature de Mulhouse.
Distribution
Chorégraphie Rubén Julliard
Musique Piotr Ilitch Tchaïkovski
Direction musicale Sora Elisabeth Lee
Dramaturgie Rubén Julliard, Éline Malègue
Scénographie Marjolaine Mansot
Costumes Thibaut Welchlin
Lumières Marco Hollinger
Les Artistes
Ballet de l'Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg, Les Petits Chanteurs de Strasbourg - Maîtrise de l'Opéra national du Rhin
Clara : Di He,
Mr Drosselmeyer : Erwan Jeammot,
Mme Drosselmeyer : Susie Buisson,
Casse-Noisette : Cauê Frias,
Princesse Pirlipat : Julia Weiss
Roi des rats : Marc Comellas
Les Danseuses : Susie Buisson, Deia Cabalé, Christina Cecchini, Marta Dias, Ana Karina Enriquez Gonzalez, Brett Fukuda, Di He, Yeonjae Jeong, Leonora Nummi, Céline Nunigé, Nirina Olivier, Alice Pernão, Emmy Stoeri, Julia Weiss, Lara Wolter, Dongting Xing.
Les Danseurs : Marc Comellas, Marin Delavaud, Cauê Frias, Erwan Jeammot, Pierre-Émile Lemieux-Venne, Rubén Julliard, Miquel Lozano, Jesse Lyon, Mathis Nour, Alexandre Plesis, Avery Reiners, Jean-Philippe Rivière, Marwik Schmitt, Alain Trividic, Hénoc Waysenson.
Les Danseurs-stagiaires : Julia Juillard , Miguel Lopes
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