Carolyn Occelli ouvre Suresnes Cités Danse : Entretien
Nouvelle directrice, depuis 2022, du Théâtre de Suresnes Jean-Vilar, Carolyn Occelli donne de nouvelles couleurs à son festival emblématique Suresnes Cités Danse et obtient un nouveau label…
Danser canal Historique : Vous dirigez, depuis 2022, le Théâtre de Suresnes Jean-Vilar, qui vient d’obtenir le label Scène conventionnée d’intérêt national art et création pour la danse, en quoi consiste-t-il ?
Carolyn Occelli : Ce label est important à plus d’un titre, car il représente le soutien du ministère de la Culture et de la DRAC, donc à la fois une reconnaissance et un encouragement à continuer sur cette voie. C’est capital au niveau de nos autres tutelles et il confirme notre inscription dans le paysage artistique, culturel et notamment à l’endroit du chorégraphique. Le label porte en particulier sur l’action du Théâtre en matière d’accompagnement des artistes dans la durée en fonction de leurs besoins, ainsi que dans la structuration des compagnies, avec une attention particulière aux jeunes chorégraphes, aux interprètes qui ont le désir de devenir chorégraphes, aux danseuses et danseurs en fin de cursus des écoles supérieures ou encore aux jeunes ballets. Bien entendu, ce n’est pas nouveau. Je poursuis ce qu’Olivier Meyer a construit au fil des nombreuses années qu’il a occupé en tant que directeur de ce théâtre. Mais je suis heureuse de pérenniser et faire évoluer certaines orientations. Particulièrement en ce qui concerne l’accompagnement des artistes.
La grande différence est qu’Olivier Meyer avait à cœur de produire à 100% une ou deux pièces qu’il diffusait ensuite. Pour des raisons de moyens et du paysage chorégraphique tel qu’il se présente aujourd’hui, je préfère être une maison ressource pour les artistes et pouvoir soutenir et suivre les projets qu’ils portent. C’est-à-dire non pas passer commande à des chorégraphes, mais être à l’écoute de leurs propositions parce que j’aime leur travail. Ce qui nous conduit à cette édition de Suresnes Cités Danse, placée sous le signe du collectif, de l’être ensemble. Nous avons besoin en ces temps incertains de réparation, de coopération, avec toute la joie – et parfois les compromis – que cela nécessite. Mon engagement artistique est au même endroit qu’à celui des publics, soit, trouver les meilleurs moyens d’être réunis et de susciter la curiosité pour des spectacles peut-être moins attendus.
DCH : Vous appartenez à plusieurs réseaux de diffusion comme G20 Île-de-France, le réseau PLAY, le réseau Sillage/s et participez aux concours Sobanova danse (Paris) et Détours (Bruxelles). En quoi est-ce important pour vous ?
Carolyn Occelli : C’est très déterminant pour moi. Je veux lutter contre cette statistique terrible du ministère de la Culture affirmant qu’une création chorégraphique bénéficie en moyenne de trois représentations. Et, dans notre situation actuelle, plutôt compliquée, il me semble que c’est le moment de porter des coproductions à quatre ou cinq, afin de donner plus de visibilité aux pièces qui vont être visibles dans chacun de ces lieux. Mais aussi, j’ai eu cette chance qu’Olivier Meyer me transmette la direction du Théâtre de Suresnes, néanmoins j’étais alors une jeune directrice, pas si expérimentée. C’est pourquoi j’ai ressenti ce désir de coopérer, de trouver des ressources, des endroits de partage à tous les niveaux. J’ai donc inscrit le Théâtre dans le Groupe des 20 d’Île-de-France, soit toutes les scènes publiques de banlieue, et j’appartiens également au réseau Play, fondé par Frédérique Latu des Rencontres chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis, qui s’adresse au jeune public, car un axe fort de mon projet, que nous retrouvons dans Suresnes Cités Danse, est d’avoir développé des « Dimanches en famille », soit des moments de partage générationnel, car nous avons constaté que nous perdions des spectateurs devenus jeunes parents.
Je porte par ailleurs une attention forte aux représentations jeune public dédiées aux enfants, aux jeunes et aux scolaires. Ce sont des programmations pluridisciplinaires, mais la danse reste leur colonne vertébrale. Ce n’est pas si facile de trouver de bons spectacles, particulièrement pour les plus petits, mais aussi au-delà. Donc nous avons été heureux de nous joindre à la diffusion de Croquettes d’Hélène Iratchet proposé par le festival Playground en octobre 2025. Et nous faisons aussi partie du réseau Sillages, un réseau de scènes conventionnées à majorité danse, de repérage, plus discret, mais national, qui permet de choisir tous les deux ans, un ou une chorégraphe que nous soutenons collectivement.
J’aime travailler à plusieurs échelles de coopération. Et puis, il y a des artistes notamment dans la danse, qui passent par des circuits parallèles, et une des solutions que j’ai trouvée pour les toucher, est de participer à deux concours chorégraphiques, Sobanova à Paris, et Détours festival à Bruxelles, qui donnent de la visibilité à des travaux en cours. J'attribue une petite bourse de création à chaque lauréat afin qu’il puisse venir en résidence une semaine au minimum. C’est le cas cette année avec Allison Faye, que nous accompagnons aussi pour la structuration de sa compagnie. Tout comme Jérémy Alberge, lauréat du concours Sobanova passé par le Ballet Junior de Genève mais aussi danseur électro, qui est un chorégraphe riche de ses expériences éclectiques d’interprète. C’est avec l’envie et la nécessité de parler d’un amour, au-delà du romantisme, qu’il déploie une pièce chorégraphique bouleversante, Agapé.
DCH : Pour Suresnes Cités Danse, ce sont Christian et François Ben Aïm, que vous accompagnez en tant qu’artistes associés qui ouvrent cette 33e édition avec la création de Tendre Colère. Pourquoi les avoir choisis comme artistes associés ?
Carolyn Occelli : C’est un vrai compagnonnage. Je les ai découverts il y a environ trois ans aux Hivernales à Avignon et j’ai eu un coup de cœur. Ils avaient un riche répertoire de différentes formes, avec un souci des publics visés que nous partageons. De ce fait, il m’a paru facile de construire cette collaboration avec eux. D’autant plus qu’ils connaissaient Rosine Dupuy, directrice du Conservatoire de Suresnes. Mais très vite, nous avons su que nous pouvions élargir cette association à tout le territoire. Donc j’ai déjà programmé Facéties, puis La Forêt ébouriffée et pour cette édition de Suresnes Cités Danse, la création de cette grande forme qu’est Tendre Colère.
DCH : Voilà quelques éditions que vous semblez, peu à peu, vous éloigner de la tonalité hip-hop de la manifestation. Pourquoi ?
Carolyn Occelli : En réalité, Olivier Meyer a invité dès la deuxième édition des chorégraphes contemporains, certes à créer pour des danseurs hip-hop. Mais depuis, le hip-hop s’est ouvert à d’autres disciplines et vice-versa, je pense par exemple à Mickaël Le Mer ou Jann Gallois que l’on serait bien en peine de classer ici ou là. De plus, le hip-hop aujourd’hui n’a plus besoin de Suresnes Cités Danse pour exister. Il est partout, très populaire, il a une forte dynamique et ne nécessite plus d’être légitimé. Partant de ce constat, je pense que le rôle de Suresnes Cités Danse est de donner "droit de cité", comme Olivier Meyer aimait à le dire, à toutes formes de danses, justement à toutes ces hybridations, à ces danses sans étiquette. C’est ce qui m’intéresse, ainsi que le brouillage des frontières disciplinaires, les danses profondément métissées, c’est ce que fait Abou Lagraa dans Carmen, ou Sylvère Lamotte qui travaille avec des acrobates de l’Académie Fratellini dont l’un vient du breakdance, pour La fabuleuse histoire de Basarkus.
DCH : Dans la programmation du festival, vous proposez des « petits plateaux partagés » qui semblent séduisants. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Carolyn Occelli : Ce sont des premières pièces. Deux hommes d’un côté, deux femmes de l’autre. Ce n’est pas anodin. Christophe West et Gaël Grzeskowiak sont deux danseurs qui, avant de chorégraphier, ont travaillé ensemble pendant des années. Pour un festival ils ont reçu commande d’un duo de huit minutes qu’ils sont venus travailler à Suresnes qui m’a enthousiasmée, tant au niveau de leur exigence technique, que de leur sincérité ou de l’amitié qui transparaissait dans leur danse. Je leur ai proposé de développer cette pièce, Juste un moment, qui s’adresse à la fois au jeune public comme aux adultes car elle délivre un message de fraternité et de solidarité très sensible. J’ai découvert Allison Faye, (la sœur de Johanna) grâce au Détours Festival dont elle est lauréate. Elle associe danse et jiujitsu, un art martial brésilien, et se trouve à un endroit de recherche physique qui me plaît. Intitulé Bernard, son duo avec Juliette Bolzer se penche sur le cas du bernard l’hermite, un animal étonnant, et utilise comme élément de scénographie un manteau qui pose la question de la dualité, de la sororité mais dans une esthétique radicalement différente de celle de Juste un moment, tout en interrogeant notre petite voix intérieure.
La seconde soirée partagée réunit Sarah Adjou et Jade Lada. Elles évoquent pour moi deux réflexions sur la femme, la puissance, l’entraide féminine, tout en actant les oppressions qui demeurent. Il est vrai que notre société reflète cette ambivalence. Revue de Sarah Adjou, a une dimension autobiographique car, si elle est une chorégraphe contemporaine, elle a dansé au cabaret pour vivre, ce qui est plutôt violent, corporellement parlant. Elle est également danseuse de tango. Je lui ai proposé de réconcilier toutes ses vies, et de retraverser toutes ces expériences. Elle nous offre donc un regard lucide et amusé sur sa double vie qui crée un langage chorégraphique hybride fantaisiste et puissant. Quant à Jade Lada, Potomitan est un trio en hommage à Denise, sa grand-mère. Le potomitan, c’est le poteau qui tient le temple, et le nom que l’on donne aux matriarches qui tiennent la maison et ne montrent jamais leurs faiblesses. Et Jade récuse cette posture inébranlable de super héroïne pour revendiquer une fragilité et de l’entraide.
J’aime ces soirées partagées qui communiquent et ont une sorte de fraîcheur. Car je trouve que nous traversons une période difficile, d’individualisme, de violence permanente et j’avais envie d’ouvrir ce festival avec un message de paix, de joie. Je crois beaucoup à la danse pour créer du lien dans la mesure où elle n’est pas récupérable, ni réduite par le discours, mais au contraire qu’il existe quelque chose de très simple, très essentiel qui s’exprime par le corps. Et d’une certaine façon ce week-end d’ouverture est une sorte de déclaration d’amour, une envie d’être ensemble en créant cet effet miroir entre les propositions artistiques et les publics.
DCH : Vous avez aussi programmé de très grandes formes. Tendre Colère des frères Ben Aïm, c’est dix danseurs, Carmen d’Abou Lagraa c’est vingt-trois, au Ballet de Lorraine ils sont vingt-quatre…
Carolyn Occelli : Ces grandes formes, c’est l’idée du collectif, et ça fait du bien d’en montrer. La danse peut et doit être à ce niveau d’ambition-là. Pour l’instant, j’ai encore les moyens de le faire ! Et, grâce aux fameux travaux d’agrandissement de la scène d’Olivier Meyer, que je remercie tous les jours, nous pouvons nous le permettre.
J’ai adoré Malón d’Ayelen Parolin et Static Shot de Maud Le Pladec par le CCN-Ballet de Lorraine [lire notre critique]. C’est un programme particulièrement bien construit que toute l’équipe est allée voir à Nancy… et dont nous sommes sortis en dansant ! Carmen d’Abou Lagraa [lire notre critique] résume de nombreuses thématiques qui me tiennent à cœur dont nous avons déjà parlé, le partage, la force féminine, les ponts entre les cultures, mais il représente aussi ceux qui sont passés par Suresnes en tant que danseuses et danseurs et reviennent comme chorégraphes.
DCH : Vous programmez également _GROUND (underground) du chorégraphe Diego « Odd Sweet » Dolciar et le Bal swing de Jean-Charles Zambo. Une danse qui a rarement « droit de cité » justement sur les scènes. Est-ce ce qui vous a intéressée ?
Cette danse est effectivement peu représentée dans le paysage chorégraphique alors que les danses swing, particulièrement le lindy hop, connaissent un essor énorme dans les pratiques amateur. En ce qui me concerne, cette programmation est née de la rencontre avec Diego « Odd Sweet » Dolciar qui se situe au croisement du swing et de la house, ce qui m’a intriguée, d’autant que les danses swing sont les ancêtres du hip-hop et des danses urbaines. Il me semble qu’il est important d’inventer des moments d’interactions et de mise en mouvement des publics. D’autant que le swing peut se danser seul ou en couple, ce sont des danses plutôt avant-gardistes en termes d’inclusivité, de ce fait, il m’importe de proposer des formes participatives à cet endroit-là. Et à l’autre bout du spectre, j’ai programmé Giro di Pista d’Ambra Senatore. Déjà parce que j’adore son travail, mais surtout parce que l’idée d’un bal où différentes générations dansent ensemble me plaisait particulièrement. Je trouve que ce type de rendez-vous, dont c’est la deuxième édition, répond à une envie, voire un besoin de nos spectateurs. Et bien sûr, sont organisés de nombreux ateliers ouverts à tous ou en milieu scolaire.
DCH : Il existe aussi des correspondances inattendues, par exemple, on retrouve le tango, déjà présent dans la pièce de Sarah Adjou, dans Aesthetica de Patrice Meissirel…
Carolyn Occelli : Sa compagnie s’appelle Tango Union et avec Irene Moraglio, ils forment un duo magnifique de tango traditionnel. Mais ils avaient envie d’aller plus loin, de croiser les esthétiques chorégraphiques et musicales pour créer une pièce performative pop et énergique et interroger les incidences des mondes virtuels sur nos corps. Et oui, il y a des correspondances puisque Sarah Adjou mais aussi Christophe West dansent dans cette création.
DCH : Et tout finit par un battle « all styles ». Qui y sera convié ?
Carolyn Occelli : Un battle est un endroit de partage et il est capital de faire connaître la culture du battle aux publics des plateaux. C’est aussi dans l’ADN du festival de présenter des danseurs confirmés et d’autres en devenir… Donc nous sommes sur un 2vs2 avancés et débutants pour créer des rencontres entre différentes générations. Et bien sûr, « all styles » pour inclure tout le monde, du tango au cabaret, du contemporain au hip-hop dans une grande fête de la danse pour finir en beauté !
Propos recueillis par Agnès Izrine
Festival Suresnes Cités Danses du 10 janvier au 9 février 2025
Image de preview : Arnaud Kehon
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