« Carcaça » de Marco da Silva Ferreira
Dans le cadre de son cycle Séquence danse Paris 2024, le 104 a présenté Carcaça (2022), une pièce du chorégraphe portugais – qualifié de… brésilien par la voix off annonçant la soirée – Marco da Silva Ferreira.
Deux musiciens encadrent la neuvaine de danseurs, l’un, João Pais Filipe (le batteur), côté jardin, l’autre, Luís Pestana (le DJ), côté cour. Eux aussi auront leur mot à dire. Ils font d’ailleurs leur entrée avant leurs collègues. La troupe est menée par l’une des trois danseuses, comme dans une parade. Les danseurs contournent l’obstacle, en l’espèce la grande piste de danse au ras du sol protégée de PVC virginal. Après avoir parcouru trois côtés du carré, ils osent affronter le public, et pénètrent sur le lieu sacré depuis le fond de la salle. Ils font incursion précautionneusement, sachant le programme qui les attend, qui n’est ni court ni libre. Le spectacle exige qu’ils fassent face, au risque de la perdre.
Galerie photo © José Caldeira
Le percussionniste frappe sèchement, frénétiquement sur les fûts des caisses claires. Après quelques roulades pour la forme, les danseurs prennent le pli, se mettent en mouvement au gré du tambour-major, autrement dit de la chorégraphie énoncée en pointillé mais haut et fort, tapageusement. De fait, la synchronie s’impose comme une des règles du jeu, dès le premier pas de trois auquel nous avons droit. De-ci delà, par intermittence, les intermittents poussent des cris, des ahanements, comme dans le flamenco, pour se soulager, se stimuler, marquer le coup ou le temps fort. Une des clauses du contrat tacite les liant à cette affaire de J.O. les contraint sans doute à se looker sport, paraître en tenue de combat synthétique et moulante. Comme si la danse était devenue synonyme de gym tonique.
L’un des athlètes-danseurs porte une prothèse en lieu et place de son avant-bras droit. Il s’avère adepte de la breakdance et nous gratifie d’une série de tours sur la tête. Un autre, visiblement, est sous influence voguing. C’est là que le musicien électro a du grain à moudre. Le folk ne tarde pas à arriver, qui, gestuellement et vocalement, rapproche les uns et les autres, d’abord en les accouplant – dans la mesure du possible : le 9 étant un nombre impair –, ensuite, en les mobilisant collectivement. Une séquence planante fait advenir le chant. Un chant de partisans. Un chant de paysans. En même temps que la danse devient concrète, réaliste, l’espace du plateau se rétrécit jusqu’à devenir à peine plus large qu’un couloir ou une scène de cabaret. Un écran blanc est tendu pour réduire le dancefloor dans sa profondeur.
Galerie photo © José Caldeira
L’écran de séparation étant photosensible, il garde un court moment les traces des corps de danseurs fixés par la lumière électrique. De même, deux interprètes deviennent graffeurs en écrivant manuellement, sans encre, au moyen d’une torche électrique, le vœu que « tombent tous les murs ». Après les danses traditionnelles, avec force sautillements, les mains derrière le dos, tout finit par des chansons. La volte devient révolte. Sur le papier tout au moins. Les paroles des chants anti-bourgeois sont traduites en français et vidéoprojetés sur l’écran. Après les manifestations paysannes de ces derniers mois, le public ne pouvait qu’ovationner ces chants et ces danses agrestes. En partie aussi par leur dépense énergétique, les danseurs ont remporté un succès considérable.
Nicolas Villodre
Vu le 16 mars 2024 au 104 dans le cadre de Séquences danse.
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