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Boost : « L’Brahech » par We The Lions

Surprise marocaine au rendez-vous urbain des Rencontres Chorégraphiques : La douceur des lions.

La feuille de salle nous informe du titre et de son sens : L’Brahech, c’est le gamin, « en jargon dialectal marocain ». Et plus encore : « Dans leur nouvelle création, les quatre danseurs convoquent l’insouciance, l’esprit espiègle et la fougue de leur adolescence. » Aussi ce quatuor serait une « ode à l’amitié et au breakdance ». Logiquement, on s’attend à une effervescence de power-moves, d’autant plus qu’on se souvient de la création endiablée Danser Casa de Kader Attou et Mourad Merzouki où les danseurs casablancais évoquaient le quotidien de la jeunesse marocaine. Et qui figure dans le générique au titre de regard extérieur ? Mourad Merzouki !

Le collectif We The Lions vient lui aussi de Casablanca, a remporté de nombreux battles au Maroc et au-delà et s’est entre autres illustré comme « Best Moroccan Crew ». Chez eux, l’idée du collectif semble bien être plus qu’une posture. Aucun d’entre eux ne s’affiche comme chorégraphe et les noms indiqués sont toujours au nombre de six, alors que L’Brahech  est interprété par quatre B-Boys, aux noms d’artistes très hip hop – Ocean, Shoyo, 7rrrag et Originatoor – qui incarnent à eux seuls cette fougue de la jeunesse dont il est question dans la présentation officielle de la pièce.

Mais alors, quel étonnement dès le début de L’Brahech ! Au lieu de breakdance, on voit des corps pliés, des micro-pas, constellations diverses et variées, en solo ou à deux, en trio ou en quatuor, des têtes se protégeant entre les bras. Les quatre garçons peuvent aussi traverser le plateau en lenteur, les corps imbriqués. Et tout cela dans le silence, où les seuls sons viennent des frappes de pieds au sol. On peut même trouver à ces micro-mouvements des côtés Tex Avery, quand les frappes s’accélèrent dans un zeste de burlesque. Et plus que de rythmes, il faudrait parler de mélodies produites par les pieds.

Alors quid de la fougue promise ? Il est vrai que l’adolescence n’est pas seulement l’âge des débordements joyeux. Ces lions-là sont passés par la danse contemporaine, sont sensibles et souvent effrayés au lieu d’être effrayants. Les lumières ajoutent à l’ensemble un côté sépia qui confère à ces garçons un air d’un autre temps, quand ils prennent position ensemble, comme s’ils posaient pour un photographe. Quels souvenirs sont en jeu dans ces portraits ? C’est comme s’ils avaient fouillé dans les albums photo de leurs parents, comme si leur solidarité et leur vulnérabilité étaient celles de toutes les générations, d’une classe ouvrière bien vivante et de tous les autres qui subissent, souvent en silence.

Photos © lbrahech Luzine

Le partage porte consolation, quand, la tête penchée, ils peuvent s’appuyer sur l’épaule de leur camarade, et l’un ou l’autre va même plier son corps pour servir de chaise à l’autre. Mais la fête arrive, dans un tableau final. Et il y a de quoi. Ces champions des battles surprennent avec un art du corps au-delà de toute définition, dans une écriture plastique du geste inventive et de grande originalité. Phénomène inhabituel, le public du Théâtre Berthelot – Jean Guerrin, toutes générations confondues, applaudissait quasiment après chaque tableau, dévoilant par-là appartenir à une autre catégorie que les habitués des salles institutionnelles. Cette autre bonne surprise de la soirée, cette ouverture salutaire, est bien la mission des Rencontres Chorégraphiques et surtout de son Boost, rendez-vous des danses urbaines.

Thomas Hahn

Vu le 5 avril 2025 à Montreuil, Théâtre municipal Berthelot – Jean Guerrin

 

 

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