Ballets de Monte-Carlo : « Cy Twombly Somehow » de Marie Chouinard
Après Jérôme Bosch Le Jardin des délices, Marie Chouinard crée Cy Twombly Somehow pour les Ballets de Monte-Carlo. Faut-il y voir un penchant de la chorégraphe québecoise pour l’inspiration picturale ? Peut-être… En tout cas, les deux pièces ont, dans leur premier moment, une vague parenté de par leurs corps dénudés et la mise en scène d’un monde vaguement décadent. Mais l’analogie s’arrête là.
Dans une boîte blanche, telle une toile ou une page vierge pour la création, on distingue d’abord un groupe féminin, apparemment nu (en fait, le torse seulement) avec des perruques du plus beau vermillon, qui tiennent tout autant du Casanova de Fellini que des toiles de Cy Twombly Blooming ou Sans titre (Gaète). Ici et là (somehow) de larges coups de pinceaux tracent des bandes blanches sur le corps des danseurs. D’abord assis avec un rappel du Bain turc, il s’essaient à des poses. Bientôt les voilà, groupés, sur pointes, se lançant dans un unisson aussi impeccable qu’implacable. La gestuelle emprunte aux pas de base de la danse classique, avec ses dégagés, ses arabesques et ses pliés à la seconde. Le mouvement est volontairement très raide, très vertical, très mécanisé, très homogénéisé, d’ailleurs, ce que l’on avait pris pour un groupe exclusivement féminin se révèle être tout à fait mixte.
Peu à peu, des individus se détache du groupe et déborde le vocabulaire classique : l’un est plus sensuel, l’autre au bord de l’explosion, le troisième plus expressif, et la gestuelle plus contemporaine avec de petits sauts très surprenants ou des pas glissés très inattendus.
Pendant ce temps, les parois du décor passent du blanc à un vert très prairie, au pêche rosé, puis au ciel, au bleu gris maritime… Et l’opposition entre ordre et désordre s’organise. D’un côté, un groupe maintient contre vents et marées l’enchaînement du début. De l’autre, des électrons libres essaient une gestuelle caoutchouc, des fondus confusément érotiques, des mouvements assouplis et défaits.
Est-ce un combat de marionnettes contre danseurs pour la beauté du geste, comme l’avait suggéré Heinrich von Kleist dans son Essai sur le théâtre des marionnettes ? Ou, dans un registre plus actuel, l’antagonisme des robots et de l’humanité ? A moins qu’il ne s’agisse d’une vision futuriste qui mêle à l’homme augmenté capable de contorsions surhumaines, des humanoïdes très policés … Nous voilà lancés dans toutes sortes de compositions et de suites très mathématiques à base de duos, de trios énergiques Le tout est très graphique et laisse surgir quelque chose de grotesque, voire d’amusant, comme une tribu kodak des années 80..
Mais bientôt les danseurs enlèvent leurs pointes pour revenir vers l’humain avec une partition pour corps et souffle, des cris, des sifflements et quelques borborygmes auquel bruit du ressac se substitue bientôt. La fin montrant un groupe épuisé mais apaisé. La musique de Louis Dufort épouse les méandres de cette chorégraphie complexe et s’accorde à merveille à la scénographie et les lumières pensées par Marie Chouinard elle-même.
Très bien mené de bout en bout, ce petit bijou d’une trentaine de minutes met en valeur les qualités d’un Ballet de Monte-Carlo dirigé par Jean-Christophe Maillot, en pleine forme, avec de jeunes danseurs rompus à toutes les difficultés techniques et à des registres divers.
Le programme se poursuivait avec une création de Natalia Horecna (lire notre critique).
La troupe monégasque se lancera le 1er juillet dans un gigantesque défi avec l’organisation d’une Fête de la danse, que beaucoup ont imaginé et personne, à ce jour, n’a su réaliser. "F(ê)aites de la Danse" se propose de faire danser le public toute la nuit, avec barre géante, danses au pluriel (de salon, du monde, classique, jazz, contemporain, etc.) le tout sur la place du Casino.
Agnès Izrine
Le 27 avril 2017, Grimaldi Forum, Monaco
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