Ballet de l'Ouest parisien
Le théâtre de l'Ouest parisien, sis à Boulogne-Billancourt, géographiquement proche de Nanterre, fêtera ses cinquante ans peu après la commémoration des « événements de 68 ». Il a, entre-temps, déménagé de la rue de la Belle-Feuille à la place vouée à Bernard Palissy, dans un bâtiment municipal construit par l’architecte Alexandre Barret l’année de l’invention du cinématographe. C’est du théâtre que tire désormais son nom la compagnie de danse fondée en 2015 par Alice Psaroudaki. Celle-ci a conclu notre joli mois de mai par un gala à base de huit pièces essentiellement néoclassiques, chorégraphiées par elle et plusieurs invités, Vasia Bizindi, Daniel Pop, Hélène Sadovska (et Claire Corruble) et Marie Perruchet.
Ronsard a inspiré l’ouverture du bal à la chorégraphe en chef : c’est sur son ode immortelle Mignonne, allons voir si la rose que celle-ci a composé un duo féminin assez contrasté entre deux interprètes au style et tempérament différents, Stela Stankovic et Kusi Castro. La première, à peine sortie de l’enfance, s’adonnait, côté jardin, à des jeux innocents, marchant à quatre pattes, se roulant au sol, riant sans raison apparente tandis que la seconde, à cour, hiératique, réfléchie, imperturbable paraissait éprise de perfection.
La version proposée par Vasia Bizindi du pas de deux de Daphnis et Chloé, sur la composition de Ravel originellement destinée aux Ballets Russes mettant en abyme l’art de Terpsichore en retraçant l’histoire d’un berger séduisant une belle par ses dons de danseur, nous a semblé rigoureuse, précise, limpide. Elle se réfère par endroits aux décorations de vases et de frises antiques. L’interprétation d’Albane Fro et d’Aubin Le Marchand, fluide et sensible, plaçait la barre assez haut.
De l’ouest chic, voire à chichis, festoyant à Roland Garros, on est passé sans transition au neuf-deux « choc », proche du « neuf-trois », avec l’insolite et insolent solo d’Elsa Pessey, fantasmé par Daniel Pop, Debout qui, comme la danse urbaine du même nom, tente de tenir le temps d’une chanson tout aussi « pop », à l’orchestration baroque et au timbre proche de celui d’un Antony Hegarty, In this Shirt, du groupe britannique The Irrepressible. Elsa rompait alors avec le langage policé du début de programme et avec celui qui lui a succédé.
Concerto, un quartetto d’Hélène Sadovska remonté par Claire Corruble, est on ne peut plus classique. Ce ballet est parfaitement interprété par Emma Brest, Mathilde Labrusse, Laïa Ramon, vêtues d’un court tutu noir agrémenté de broderies d’argent (redessinés par Hisako Tanaka d’après ceux de la création) et Wallis Lorimy, en long caleçon blanc, les cheveux retenus par un serre-tête isadorien. Les suites de pas étaient plaisantes à voir, soutenues par les thèmes de Camille Saint-Saëns et les lumières éclatantes d’Anne Sadovska Stéphant.
Aperto libro (A livre ouvert), une variation écrite par Alice Psaroudaki pour la talentueuse soliste Olga Totukhova, tranchait avec le reste, le déjà-vu, et ce qui allait suivre. Inutile, ici, de jauger la technique, tant la danse d’Olga s’est imposée d’emblée par son intensité, son irréductibilité, pour ne pas dire l’irrépressibilité déjà évoquée. Sa virtuosité n’a rien d’artificiel, d’affecté, de simulé ; ses mouvements semblent jaillir tout seuls, motivés par un feu intérieur, non par une leçon de danse apprise par cœur. Elle évolue sur du Vivaldi mais pourrait aussi bien le faire en silence.
S’il nous a moins convaincu comme interprète, Daniel Pop a encore montré son savoir-faire de chorégraphe dans le duo Genesis qui a permis à sa partenaire Elsa Pessey de briller en deuxième partie avec des ondulations orientales somme toute valorisées par le jersey moulant.
La chorégraphe confirmée Marie Perruchet nous a offert Première lecture, autrement dit la version initiale abrégée de sa pièce adaptant les Nourritures terrestres de Gide découverte au Tarmac du temps où se lieu y présentait de la danse. Sur l’air de la mort de Didon de Purcell, les deux jeunes danseurs, Albane Fro et Ikki Hoshino, placés sur un même plan d’égalité, ont enchaîné avec aisance des mouvements d’apparence évidents, en réalité aussi complexes qu’un mécanisme d’horlogerie. Le duo s’est à juste titre taillé un beau succès public.
« Last but not least », Kusi Castro et Aubin Le Marchand ont couronné ce mini-festival en nous gratifiant d’un autre ballet de la maîtresse de céans et chorégraphe de la compagnie boulonnaise, Alice Psaroudaki, ayant pour titre Timides ? Ce sujet a inspiré un vaudeville à Labiche et un film à René Clair mais rarement la danse.
C’est désormais chose faite, ce, sur un des plus fameux concertos de Tchaïkovski. Et fort joliment incarné par le couple.
Nicolas Villodre
Vu le 31 mai 2018
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