Ayelen Parolin : la danse peut-elle être SIMPLE ?
La danse est-elle simple ? Au moins elle peut l’être, semble affirmer Ayelen Parolin. Avant son passage au Carreau du Temple les 9 et 10 avril, nous l’avons rencontrée pour lui demander les tenants et les aboutissants de cette pièce drôle et peut-être pas si… SIMPLE !
DCH : Comment en êtes-vous arrivée à ce titre SIMPLE ?
Ayelen Parolin : Le titre est venu très vite. Pour moi, c’était une évidence car je recherchais cette simplicité, être simple étant ce qu’il y a de plus compliqué. Donc ça me passionnait. À un certain moment, j’ai failli changer de titre, car je le trouvais trop… simple ! Finalement, il est resté.
DCH : Qu’est-ce qui vous intéressait particulièrement dans ce questionnement ?
Ayelen Parolin : La certitude. On a tellement peur de se montrer incertains, d’afficher nos hésitations et nos doutes, et c’est ce que je souhaitais défendre. Que se passe-t-il si on n’a pas d’intention, de prétention, de volonté ? Comment construire une chorégraphie à partir de ça ? Car bien sûr, nous sommes des gens très formés, très académiques, nous avons tous suivi des cours dans des écoles de haut niveau, et cette formation apparaît dans les répétitions, et dans la création. Personnellement, j’adore les structures compositionnelles, parce que ça met les interprètes dans un état d’alerte permanent, par peur de se tromper. Naturellement, nous finissons toujours par nous égarer, y compris moi, dans une phrase chorégraphique. En tant qu’interprète, c’était mon pire cauchemar. Du coup, avec SIMPLE, j’ai voulu travailler sur le droit à l’erreur. Qu’arrive-t-il si on accueille la faute, l’écart ? Et au-delà même de cela, je pense que cette « in-volonté » devient une forme de puissance.
Galerie photos © Laurent Philippe
DCH : D’une certaine façon, ne serait-ce pas une façon de saper la danse de l’intérieur ? Car elle demande toujours une certaine maîtrise, sinon une certitude corporelle...
Ayelen Parolin : Certes puisque tout notre travail consiste à vouloir masquer nos imperfections. Et d’une certaine façon c‘est vain car nous associons perfection et beauté, ou à quelque chose de très lisible, très défini. Or la nature, aussi belle soit-elle est fondée sur l’imperfection, la symétrie imparfaite, le détail qui échappe. En tournée à Barcelone, j’ai été voir Gaudí bien sûr, que j'adore. Et dans un parc, où il a construit des colonnes, elle paraissent toutes droites, or certaines sont de travers. De même, j’avais travaillé avec un physicien qui m’avait expliqué que contrairement aux cristaux de sel industriels, tous des octogones parfaits, les naturels comportaient tous une petite différence. C’est exactement ce qui m’intéresse quand je chorégraphie. C’est plus artisanal.
DCH : Alors, à propos d’artisanal, dans SIMPLE, comme dans ZONDER vu récemment, tout est en silence, et ce sont les danseurs qui la fabriquent corporellement… S’agit-il pour vous du même type de recherche ?
Ayelen Parolin : Mon univers est plus musical que visuel. Dans le silence, toutes les musiques sont alors convoquées dans mon imaginaire émotionnel. Et la musicalité de la danse est aussi très importante pour moi, car un corps qui fait des mouvements sur de la musique n’est pas le même que celui qui est en train de suivre une musique interne. Par ailleurs, ça m’amusait de faire semblant que ce silence n’existait pas, alors qu’il est très pesant, l’ensemble de la pièce étant sans musique. Donc c’était un défi à relever.
Galerie photos © Laurent Philippe
DCH : Dans SIMPLE il y a une référence immédiate à Summerspace, l’une des œuvres les plus marquantes de Merce Cunningham. Pourquoi ?
Ayelen Parolin : Parce que dans mon école, en Argentine, il existait une admiration sans bornes pour ce que Merce Cunningham avait apporté à la danse, tant au niveau de l’espace que des rapports avec la musique, entre John Cage et lui qui travaillaient séparément jusqu’au moment de la création. Ça m’a toujours fascinée, et en même temps, en le pratiquant, je trouvais qu’il y avait quelque chose d’absurde. Un mélange d’admiration et de sentiment de ridicule mélangé. L’esthétique aussi, que je pensais dans un rapport à l’universel et à ce qui est plus personnel. Dans cette deuxième catégorie, il y a le maillot académique. Qui peut se sentir bien en académique ? Je vois bien l’intérêt de l’utiliser pour un chorégraphe ou un professeur qui veut voir les lignes du corps… Mais pour l’interprète, c’est un vrai cauchemar !! Bref, une sorte d’idéal cauchemardesque. Mais pour les gens qui ne connaissent absolument pas Summerspace, le rapport à la drôlerie fonctionne néanmoins. Le spectateur distingue cet entre-deux ridicule dont nous parlions.
DCH : Dans vos derniers spectacles, y compris celui-ci, vous semblez avoir un goût particulier pour les couleurs extravagantes. Qu’est-ce qui vous attire vers ces choix ?
Ayelen Parolin : C’est un genre de fantaisie, les couleurs. Je pense que ça correspond chez moi à cet endroit inconscient entre rêve et cauchemar que je vois exagérément coloré.
DCH : Comment avez-vous choisi vos trois interprètes pour SIMPLE ?
Ayelen Parolin : Je les avais rencontrés lors d’une audition pour ma pièce précédente avec neuf interprètes et j’avais déjà remarqué une relation singulière entre ces trois personnes, qui engendrait une certaine dérision. J’ai voulu utiliser ce potentiel pour SIMPLE. J'ai voulu continuer cette collaboration, avec leurs qualités, leur complicité et une entente incroyable dans le processus de création. Leurs improvisations étaient insensées. IIs allaient à des endroits vraiment inattendus et improbables. J’ai adoré voir cette liberté qui était pourtant bien construite.
Galerie photos © Laurent Philippe
DCH : Dans ZONDER, comme dans SIMPLE il y a une sorte de pulsion destructive à la fin. Pourquoi ?
Ayelen Parolin : C’est une destruction jouissive. Je pense que ça vient d’un souvenir d’enfance, d’un jeu que je menais avec ma sœur autour d’une assiette que je menaçais de casser, et elle, esssayait de m’en empêcher. Ça durait des heures. J’ai dû la casser une fois. Mais pour nous c’était une transgression terrible. Ensuite c’est devenu une vraie thématique. Sur le plateau, les danseurs font semblant de ne rien changer alors que tout se détruit autour d’eux. Ce n’est pas sans rapport avec la politique, le climat…
DCH : En tant qu’Argentine, diriez vous que vous êtes particulièrement sensible à ces problématiques ?
Ayelen Parolin : Oui, car à l’époque Javier Milei était en pleine campagne présidentielle, et disait « on va tout couper, on va couper tous les arbres… » Et finalement, on se rend compte que ces personnages, presque fictionnnels, sont à la tête de pays, avec un tel pouvoir qu’ils ne représentent plus personne. Ils ne font que trahir les gens qu’ils ont manipulé par de la désinformation en continu via les réseaux sociaux. Les sociétés deviennent tellement polarisées que le dialogue n'est plus possible parce qu'il n'y a plus d’en-commun. Je pense qu’il est impossible qu'un artiste ne soit pas imprégné de ce contexte, la réalité a une influence sur ce qu'on ressent, ce qu'on voit, ce qu'on propose. J'essaie malgré tout de croire au mouvement et d'essayer de travailler sur le plaisir et sur le choix d'être ensemble car je pense que le corps et la danse ont une puissance de communication qui aide à désinhiber, à créer de la complicité, qui n’a même pas besoin de mots pour s’exprimer, nous n’avons pas besoin de parler la même langue pour danser ensemble et c'est très significatif. e pense que nous devons revendiquer cette particularité pour comprendre que le corps est une arme si on sait comment l'utiliser. Bien plus forte et habile qu’une épée !
Propos recueillis par Agnès Izrine
SIMPLE d’Ayelen Parolin, Le Carreau du Temple, Mercredi 9 avril à 19h30 et jeudi 10 avril 2025 à 14h30.
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