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À Arcachon, les découvertes du festival Cadences

Cadences évolue, s'agrandit et devance Paris ! Avec Blanca Li, Tania Carvalho, Solal Mariotte...

Ils sont loin, les temps où Arcachon rimait uniquement avec huîtres et villégiature. À l'origine le défi était, comme le rappelle Benoît Dissaux, le « monsieur danse » du Bassin en question, « de passer d'une ville balnéaire avec sept mille résidences secondaires à une ville culturelle » . Pas si facile. Et donc : « On a essayé le cinéma, ça n'a pas marché. L'avantage de la danse est qu'elle peut utiliser le cadre naturel.» Seulement, en programmant tous les après-midi une série de spectacles à l'éphémère Théâtre de la Mer, avec ses gradins pour 500 personnes faisant face au Bassin et à son trafic maritime, on affronte forcément quelques incertitudes météorologiques. Aussi l'édition 2024 frôla les annulations, certains spectacles sachant moins bien résister à la pluie qu'une Barre à la plage, installée place Thiers entre mer et commerces. Une vraie institution du festival...

Manifestement, Cadences est en train d'entrer dans une nouvelle ère. Avec quatorze communes à l'appel, le festival et son équipe s'agitent plus que jamais en faisant le tour du Bassin. De petites tournées sont désormais organisées, et ce pour un nombre croissant de spectacles, ce qui concerna cette année, entre autres, Le Sacre de Blanca Li. Pour la première fois, un spectacle de Cadences a même été organisé à l'Opéra de Bordeaux (à l'Auditorium) : Quatre Saisons Dansées de Mourad Merzouki, pour sept danseurs de la compagnie Käfig et l'orchestre baroque Le Concert de la Loge avec ses quatorze musiciens.

Bassin espagnol

Et Arcachon devint Arrrrcajon! Le Sacre de Blanca Li, son Didon et Enée où l'eau envahit le plateau, et finalement même du flamenco, avec Sergio Bernal. Une vraie découverte !

Mais Arcachon sait faire plus encore, en tenant la cadence, notamment avec Calixte de Nigremont qui anime les après-midis au Théâtre de la Mer et chauffe la salle avant les soirées à l'Olympia. Inénarrable roi des mondanités imaginaires et de l'élégance calanchée, il constata, avec tout son charme désuet au second degré qu'il y avait soudainement « deux capitales de la danse en France, Arcachon et Paris » . Une exagération, certes, mais il y avait là une raison précise, à savoir la venue de la compagnie Tanzmainz avec Mysterious Heart de Tania Carvalho « avant Paris » ! Et pareil pour Blanca Li avec son improbable Purcell. Voilà qui compte, sur les rives girondines. Doubler le Bassin parisien, ce n'est pas rien !

Et qui plus est, Ser de Sergio Bernal y fut présenté en première française sans autres dates françaises à la clé. Ce virtuose des deux écoles – ballet classique et flamenco – a autant ébloui dans la compagnie de Carlos Saura qu'en tant que soliste au Ballet national d'Espagne. En tant que jeune chorégraphe aux ambitions mirobolantes, Bernal présente avec Ser son troisième opus. Et il est vrai qu'il a des idées étonnantes. Dans une longue série de tableaux brefs et percutants, il met en scène une fanfare digne des processions religieuses et carnavalesques, un solo de toreador à l'attitude d'un Michael Jackson avec chapeau et paillettes. Crée du mouvement chez un quatuor musical face à une soliste chorégraphique presque immobile, en fond de scène, les bras levés comme un danseur urbain en position de Tetris. Invite à des voyages émotionnels du festif au tragique. Fait merveille avec les silhouettes en contrejour pour le flamenco et laisse advenir les émotions dans la danse classique comme un John Neumeier.

On reste bouche bée quand il se transforme, sous les yeux du public, d'un bailaor à l'expression vive, intense et personnelle en un danseur classique du plus haut niveau. Seulement, fallait-il qu'il termine sa transformation sur La Mort du cygne, à la lisière de la parodie ? Tout son talent ne le dédouane pas toujours des sphères kitsch, ni d'un rapport à lui-même qui peut s'avérer abusif. Aussi avait-il nommé son programme précédent Une nuit avec Sergio Bernal, apparemment sans tomber sous un feu de barrage féministe. Ensuite, en créant Ser, il fait bien sûr référence à l'idée d'être, mais ce sont aussi les trois premières lettres de son prénom. Une simple coïncidence ? Malgré ces excès, on remercie Cadences de nous avoir fait découvrir cet univers où le flamenco et la danse classique marchent la main dans la main, incarnant à la perfection l'ambition du festival qui veut, selon son directeur, « réunir des mondes chorégraphiques initialement séparés ».

Crocodile, duo de Martin Harriague © DR

Des virtuoses du geste

Cadences est indéniablement un festival propice à la découverte, notamment par ses petites formes présentées au Théâtre de la Mer. Et parfois on y redécouvre un spectacle sous un jour nouveau. Ce fut le cas de Crocodile, le duo de Martin Harriague et Emilie Leriche [lire notre critique]. Sans scénographie autre que « cette flaque d'eau derrière nous » (Calixte de Nigremont) et dans le rapport immédiat, souligné par la lumière du jour, le jeu subtil entre les deux explorateurs du geste dévoila toute sa richesse, jusque dans les moindres détails, par le jeu des regards, des gestes, des réactions et contre-réactions. Face aux seuls marimbas, il devint quasiment une partition musicale. L'émotion de la rencontre amoureuse en plus. Et dans le contexte du plateau dressé sur la plage, les pieds des deux, se touchant par les plantes, finirent par ressembler à des pattes de crocodile !

Installé à la vue des baigneurs, ce plateau semble également favoriser des partitions chorégraphiques s'exprimant à travers des agrès sportifs, et on y a découvert des approches très originales, comme le Portrait dansé de Paul Molina, grand virtuose du ballon de foot en mode free style. Et ce qu'il propose est en effet bien plus qu'une démonstration de technicité. Le ballon devient son confident, son alter ego, le reflet de son âme. Si bien qu'il s'interroge sur la possibilité d'exister sans l'objet partenaire. Il parle par ailleurs de sa « balle » , tel un jongleur. Et approche ses danses avec son ami sphérique par un footwork qui n'a rien à envier aux breakers.

Quatre roues sous chaque pied, c'est le pied pour Le Patin Libre du Québec. Quand ils viennent à Paris, c'est chaque fois grâce au Théâtre de la Ville, et en patineurs sur glace. Le Bassin d'Arcachon leur offrit places publiques et plateau de plage pour Roulettes et violoncelle. « C'est un spectacle donné par les cinq membres fondateurs. Nous l'avons créé pour jouer au chapeau, mais de plus en plus, les festivals nous le demandent », explique Alexandre Hamel en libre-patineur. Et effectivement, Roulettes et violoncelle est conçu pour la rue et on y applaudit entre les tableaux assez brefs, ludiques, dynamiques et ornés d'autodérision. Et la pluie qui guettait laissa finalement la plage à un rayon de soleil.

Collages / Ravages de Solal Mariotte © DR

La masculinité révisée

Tout était à imaginer avec Solal Mariotte, shooting star venu du hip hop et à sa façon une illustration de la fusion entre les univers chorégraphiques. Si vous avez entendu parler d'un B-Boy qui entra à P.A.R.T.S pour finir par épater tout le monde dans un spectacle (ce fut Exit Above) d'Anne Teresa De Keersmaeker, c'est lui ! En 2025, il créera un duo, avec elle ! Entretemps, il s’amuse dans son solo Collages / Ravages, où il dynamite certaines attitudes grandiloquentes de la gent masculine, enchaînant situations et folies à un rythme déchaîné pour les dynamiter les stéréotypes et fantasmes, en jonglant avec son propre corps, entre douceur et sauvagerie. Que l'ensemble puisse paraître un peu brouillon sur les bords est probablement dans la nature des choses.

Juste un moment, duo de Christophe West et Gaël Grzeskowiak © DR

On terminera sur Juste un moment, le duo de Christophe West et Gaël Grzeskowiak (Cie Crysael), pièce lauréate des Sobanova Dance Awards 2024. Ici, ni ballon ni patins, mais une corde à sauter pour souligner l'élasticité de leurs corps et de leurs cous, et comment! Sous le signe de l'autodérision se dessine la relation qui attache ces deux garçons, entre douceur, fureur, lourdeur et autres humeurs. Dans la complexité d'une relation à deux, ils travaillent tous les états et tous les détails, comme Martin Harriague et Emilie Leriche. L'humour en plus. Juste un moment s'amuse (comme Solal Mariotte) de la masculinité et montre que tous les schémas d'accueil et de rejet, de tension et d'harmonie existent aussi dans la relation entre deux garçons, qu'ils soient amants ou juste copains.

Le lendemain, au matin, le démontage du Théâtre de la Mer en cours, un arc-en-ciel sembla émerger du village du festival pour relier l'autre rive du bassin. (voir première photo) 

Thomas Hahn

Festival Cadence à Arcachon, 17-22 septembre 2024

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