« Âmes » de Fouad Boussouf
En ouverture du festival Plein Phare, Fouad Boussouf présentait sa création Âmes.
Un duo ? Oui, mais au pluriel. Abordant pour la première fois de sa carrière de chorégraphe l’exercice du solo, le nouveau directeur du CCN Le Havre - Normandie double son interprète, le danseur Sami Blond, non seulement d’un alter ego en la personne de l’artiste Mathieu Morelle, mais également d’une dizaine d’amateurs havrais, recrutés pour l’occasion. Sans oublier la présence d’un invité de poids, Charles Baudelaire, dont les vers de Spleen (« J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans… ») se mêlent au monologue en voix off du personnage, comme un écho à sa vie intérieure.
C’est en effet à une « tempête sous un crâne », pour reprendre les mots d’un autre grand poète, qu’il nous est ici donné d’assister. Entre pensées, souvenirs, propos esquissés et phrases à demi interrompues, Sami Blond livre ce qui l’habite dans un flux en apparence désordonné voire obscur, en réalité construit et mis en mots par la dramaturge Mona El Yafi. L’intention de Fouad Boussouf était de « tout mettre en œuvre pour qu’une personne qui(l)’inspire en vienne à révéler la part non visible qui l’anime, de manière plus ou moins consciente ». Un pari commandé, selon lui, par la forme même -autobiographique et introspective - du solo, doublé d’un second défi : mettre en geste et en espace cette exploration intérieure. Le résultat, à la fois subtil et accessible, fait d’abord évoluer le personnage et son double, vêtus d’un jean, d’une chemise et d’une veste dans les dégradés bleus mauves, en diagonales parallèles de part et d’autre du plateau. Leurs mouvements sont guidés par la petite voix intérieure du sujet, qui leur intime de ne pas s’arrêter (« Recommence ! »). A ce dédoublement sonore, de l’intimité du cerveau à la résonance du plateau, répond la présence de ce couple arpentant la scène côte à côte. Peu à peu, de même que dans le flot - le flow ? - du discours, mots et phrases progressivement se bousculent, au sol les traversées s’accélèrent, tandis que les deux hommes répandent au sol, ça et là, une mystérieuse poudre bleutée.
La musique sourde façon électro qui accompagnait cette entrée en matière fait soudain place à un solo de cordes : Sami Blond, désormais seul face au public, trouve sa voie (et sa voix !) dans un solo dont la physicalité sensible puise au vocabulaire des danses urbaines. Tandis que son complice s’installe au clavier, il est ensuite rejoint par un groupe d’hommes et de femmes qui, à leur tour, marchent, se croisent et déversent régulièrement au sol un peu de poussière bleue. Laquelle finit par tomber en grands jets verticaux des cintres, recouvrant le sol d’un tapis sur lequel les deux hommes dessinent du doigt ce qu’ils ne peuvent exprimer par les mots ou les gestes. Plutôt que de mettre à nu le cœur d’un sujet dans une exposition frontale et univoque, Fouad Boussouf choisit ainsi de démultiplier les points de vue et les approches, mêlant verbe, corps et vers - et quels vers ! - pour dire la difficulté de vivre. Et le bonheur d’exister..
Isabelle Calabre
Vu le dimanche 20 novembre 2022 au Phare, CCN Le Havre Normandie, dans le cadre du festival Plein Phare #1
Les 28 et 29 janvier au Théâtre Jean Vilar
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