« All that falls » & « Poetry Event » de Carolyn Carlson
Carolyn Carlson dit qu’elle fait de la poésie visuelle, et elle n’a pas peur des mots. Sa voix aussi est une danseuse...
All that falls, un duo signé Carolyn Carlson et composé pour Céline Maufroid et Juha Marsalo, fait partie de la série des Short Stories, des solos ou duos pouvant composer des soirées de deux ou trois spectacles. Pour la 12e édition de June Events, couronnée par cette soirée au Théâtre du Soleil, la Lady américaine a cependant choisi de combiner All that falls et un de ses Poetry Events, forme mélangeant danse, musique, poésie parlée et éléments performatifs.
Construction
All that falls est un duo autour d’une relation homme-femme, à la fois classique et métaphorique. Il est vrai que l’univers de l’homme et celui de la femme suivent les définitions les plus orthodoxes. Elle cultive son jardin, il scie des planches. L’homme construit la maison, la femme l’investit. Le bricoleur porte la jardinière, lui construit un sentier et l’accueille. L’homme propose, la femme dispose, l’amour s’impose. La sciure qu’il étale au sol est le sable sur lequel se construisent les rêves. De la poudre aux yeux ?
Mais Carlson est une poète de la danse pour laquelle aucune chorégraphie ne se pense sans lien symbiotique avec d’autres arts et univers. Même dans une histoire courte, elle ne raconterait pas une simple histoire d’amour. All that falls s’appuie sur la philosophie de Khalil Gibran et son livre Le Prophète, où le rêve a une valeur constructive et l’homme doit chercher le sens de son existence au-delà de l’ici-et-maintenant. La relation du couple en devenir dans All that falls est donc à placer sous l’angle de la métaphore.
Consolation
On pourrait lire dans la référence à l’œuvre de ce Chrétien libanais un appel à poursuivre un rêve. Carlson parle de la construction d’une relation, de prendre soin de l’autre. Et cette danse généreuse, ornementée, enjouée et vive nous ramène vers un état de pureté, dans un monde d’avant les conflits. Céline Maufroid et Juha Marsalo offrent une consolation dansée, un baume sur les blessures de nos âmes. Tout est rond et poétique, souligné et prévisible. On songe à Venise la sérénissime, où Carlson puisa moult inspiration, et décèle par-ci par-là un clin d’œil à Magritte.
Carlson est aimée de son public qui l’applaudit quand elle entre en scène pour lancer le Poetry Event, une de ces performances à géométrie variable qui réunissent la Blue Lady éternelle, des danseurs, des musiciens... Ici, elle se joint à Marsalo et Maufroid et invite Guillaume Perret, compositeur et musicien à les rejoindre.
Et elle intègre, dans cette symphonie de corps et des sons, ses propres poèmes où elle révèle la substance poétique d’une porte, d’une vitre sale ou d’une mouche.
Contemplation
Sous l’œil contemplatif de Carlson, la moindre miette du quotidien peut donc se transformer en poésie. Elle dit qu’elle ne fait pas de la danse, mais de la poésie visuelle.
Nous dirons ici qu’elle ne fait pas de la poésie: Elle est poésie! Quand son poème évoque l’océan, il lui suffit de soulever le voile de son manteau bleu, et elle est l’océan.
Elle offrit ainsi l’autre facette de son art chorégraphique, où elle enlève tous les ornements et incarne l’essence de son univers, qu’elle interprète avec une précision chirurgicale, jusque dans les bouts des doigts. Dans All that falls, Maufroid et Marsalo cultivent, au contraire, lyrisme et exubérance à la manière d’une soprano colorature. Leur incarnation théâtrale rappelle Pina Bausch ou Mats Ek. Dans la performance, Maufroid se retire, se plie, s’assied, joue purement de sa présence, aux confins de l’absence.
Communion
Le fil narratif déroulé dans All that falls continue en fil poétique, ce qui crée l’unité de cette soirée de Poetry in Motion. On contemple la construction d’une relation entre les personnages et les deux volets de la soirée. « Je sais qui tu es, mais si je te définis, tu disparais », dit Carlson. S’adresse-t-elle à Maufroid ? « De qui êtes-vous le silence », demande-t-elle. Maufroid est le silence de Carlson.
Marsalo est présent, très présent aux côtés de l’Américaine, il est son partenaire de jeu. Il leur suffit d’improviser une conversation, verbale ou gestuelle, pour que la magie opère. Ensemble, ils lancent des fleurs au public, littéralement.
Entre eux et le jazzman, compositeur et saxophoniste Guillaume Perret se crée une complicité profonde, une texture des possibles, qui rappelle le théâtre musical du compositeur Heiner Goebbels. Un Poetry Event, c’est l’art en toute liberté. Mais de la liberté, il faut savoir faire bon usage. Carlson est au-delà de ces questions. Sa présence, sa danse, ses poèmes et même sa voix brillent dans la simplicité des plus grands.
Thomas Hahn
Vu le 19 juin 2018 au Théâtre du Soleil, Paris - 12e édition de June Events
Soirée Poetry in Motion
De et avec Carolyn Carlson, Guillaume Perret, Céline Maufroid, Juha Marsalo
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