Alain Buffard, Good Boy
Un livre somptueux, en forme de geste artistique, qui nous plonge dans la vie et l'œuvre d'Alain Buffard, disparu le 21 décembre 2013.
Il y a sept ans exactement, le 21 décembre 2013, disparaissait Alain Buffard. Il avait 53 ans. Artiste, chorégraphe et danseur à l’intelligence acérée, héritier d’un pan de l’histoire de la danse contemporaine, témoin des bouleversements de notre société, vivant l’arrivée du sida et lui résistant dans son œuvre, précurseur des grandes questions qui nous agitent aujourd’hui, à savoir le genre et le postcolonialisme. Aujourd’hui, un livre retrace toute la complexité d’un parcours radical, d’un homme aux visages multiples, intitulé Alain Buffard Good Boy, qui associe archives, notices, analyses de l’œuvres, en forme de portrait kaléïdoscopique, voire, chorégraphique. On le voit écrire sur Francisco Zurbaraan, ou dialoguer avec son compagnon Alain Ménil ou Laurence Louppe…
Certainement on pourrait analyser toute l’œuvre d’Alain Buffard à partir de Good Boy (1998), première pièce et matrice de celles qui vont suivre. Surgissent là les thèmes qui vont se démultiplier en autant de variations devenues chorégraphies indépendantes dont l’écho se propage et se répercute de l’une à l’autre et jalonnent le parcours du chorégraphe (Good For (2002) ; pour quatre interprètes Mauvais genre (2003) pour vingt-cinq danseurs et chorégraphes représentatifs des anciennes et nouvelles vitalités de la danse française, se tissent d’autres trames, d’autres arrangements. Il y a le corps nu, dans son plus simple « appareil » traité comme machine subtile dont on examinerait chaque articulation, ou cette trouble exploration du sexe ; éléments que l’on retrouve disséminés, réajustés au long d’autres créations.
Sa présence magnétique, l’élégance de sa danse, sa compréhension du mouvement, le font vite devenir l’un des interprètes les plus prisés de la Nouvelle danse contemporaine française, échappant pourtant toujours au cadre, aux définitions à ce que l’on attend de lui. On le croit le meilleur danseur de sa génération ? Il arrête la danse. Il travaille dans la galerie d’Art Anne de Villepoix, chez laquelle il rencontre les œuvres des plasticiens Vito Acconci, Chris Burden ou Bruce Nauman. Il devient correspondant de deux journaux norvégiens pour les arts visuels. On le croit fini pour la danse ? Il assiste aux répétitions du quatuor Knust qui remonte avec Yvonne Rainer Continuous Project Altered Daily (1996). Et le revoilà danseur. Mais entretemps est passé le fléau du sida, qui dans le début des années 1990 sonnait comme un arrêt de mort. Remettant totalement en question le modèle corporel esthétique et glorieux que véhicule le mouvement chorégraphique contemporain, il part aux États-Unis rencontrer la chorégraphe Anna Halprin qui mène alors des ateliers avec des personnes atteintes de maladies graves. Avec elle, il réalisera un film My Lunch with Anna (2005). Ces rencontres le pousseront d’abord à créer Good Boy et à fonder sa compagnie dénommée PI : ES. la même année.
Effrontées, tendres, grinçantes, drôles, inquiétantes les quatorze pièces suivantes développent un univers singulier et un regard sensible sur le monde. Il y a un style Buffard, une empreinte, qui tient tout autant à la sobriété de dispositifs scéniques pourtant complexes, qu’à la pertinence des choix musicaux ou sonores ou du retour récurrent de certains éléments. Relançant toujours la problématique de l’impossible reconnaissance dans le miroir tendu par la société – l’autre est toujours plus femme, plus français, plus blanc que soi. Ceux qu’il nous montrait étaient toujours des êtres déplacés, attachants et humains avec ce doute constitutif et jamais refermé à l’endroit de la certitude intrinsèque. Ce qu’il développera également dans son activité parallèle de commissaire d’expositions : Campy, Vampy, Tacky (2002) et Umstellung/Umwandlung (2005) et enfin Histoires parallèles, Pays mêlés, combinant exposition, spectacles et conférences, à l’affiche de différents lieux, à Nîmes pour dénoncer les dérives d’un héritage post-colonial et son refoulement délétère.
Celui qui n’acceptait aucune étiquette, et moins que toute autre celle d’artiste homosexuel et séropositif, n’a jamais revendiqué qu’une seule chose « faire pleinement de la danse et même du spectacle. »
Ce livre témoigne de toutes ces vies, de toutes ses réflexions posées au monde et à nous mêmes dans une édition somptueuse, à la fois touffue (320 pages et 275 très belles illustrations) et légère, à l’image de l’homme qu’il était. C’est un livre aussi savant qu’émouvant, avec de nombreuses entrées, rangées par ordre alphabétique, comprenant des textes de nombreux auteurs, penseurs, chercheurs, danseurs et un essai photographique de Marc Domage et Jean-Louis Chapuis. L’édition est entièrement bilingue. Cela aurait plu à Alain Buffard, lui qui parlait de nombreuses langues et m’avait dit un jour qu’avant la danse, il avait voulu être… interprète !
Agnès Izrine
Ouvrage collectif sous la direction de Fanny de Chaillé, Laurent Sebillotte, Cécile Zoonens. Coédition Les Presses du Réel, Centre national de la danse, en partenariat avec l’Association PI :ES Alain Buffard et le soutien du Ministère de la Culture – Direction générale de la création artistique. 39 €
Lire aussi : L'univers d'Alain Buffard
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