«50 ans de révolution chorégraphique»
Cadeau idéal pour tous les amoureux de la danse à l’approche des fêtes de fin d’année, un beau livre retrace les 50 ans du CCN-Ballet de Lorraine.
Le tournis et la passion. Ou encore la mémoire. A moins que ce ne soit d’abord une incroyable richesse, celle d’une histoire qui traverse toute la danse, ou presque, des cinquante dernières années. Tels sont les mots et les sentiments qui viennent à l’esprit après avoir refermé les quelque 140 pages de 50 Ans de révolution chorégraphique, le livre consacré par les journalistes Agnès Izrine et Laurent Goumarre à l’actuel CCN - Ballet de Lorraine, et feu Ballet-Théâtre contemporain ou BTC. On a beau connaître, au moins dans ses grandes lignes, la saga de ce qui fut le premier centre chorégraphique national, on en découvre ici non seulement les détails mais surtout le poids d’humanité, de talents, de désirs parfois contrariés et d’enthousiasmes toujours vibrants, même à un demi siècle de distance
Rendons d’abord grâce aux auteurs de nous avoir épargné tant l’essai savant et abscons que la plate narration chronologique, pour adopter un parti pris croisé à la fois thématique, artistique et historique, seul à même de transmettre la fabuleuse créativité de ce jubilée. Le texte, illustré de splendides clichés pleine page dus aux photographes successifs ayant couvert l’actualité du ballet, est donc découpé en cinq parties : 2018, 1968, Enjeux esthétiques, Centre Chorégraphique national, et Les grands classiques. L’ensemble est augmenté de précieuses annexes, qui recensent l’intégralité des pièces créées entre 1968 et 2019 et listent les artistes chorégraphiques qui s’y sont produits. A l’entreprise initiée en 1968 à Amiens par le tandem Jean-Albert Cartier - Françoise Adret, chacun a participé, dans ses réussites éclatantes comme dans ses échecs relatifs ou ses inaboutissements.
D’où une autre idée excellente : avoir substitué à l’analyse distanciée la parole directe de ceux qui ont été partie prenante, ne serait-ce qu’en tant que spectateur, des faits relatés. Qu’il s’agisse en effet des danseurs, des directeurs actuels et passés, des chorégraphes, des "politiques", des journalistes de presse écrite et de télévision, ou du public, « la forme de l’entretien était la seule possible pour rendre compte de la dynamique d’une histoire née d’une révolution ».
Trois efficaces synthèses ponctuent le tout, rappelant quels étaient l’environnement culturel et les enjeux pour le monde de la danse de chaque nouvelle mue du BTC au CCN. Par les mots des solistes Muriel Belmondo, James Urbain, André Lafonta et Dominique Mercy, via les extraits d’interviews des fondateurs, Jean-Albert Cartier et « la mère Adret », qui se surnommait elle-même « le Samu de la danse », dans les paroles recueillies auprès de leurs successeurs, Patrick Dupont, Hélène Traïline, Pierre Lacotte, Didier Deschamps et bien sûr Peter Jacobsson et Thomas Caley, au travers aussi des témoignages de chorégraphes, tels que Thierry Malandain, ou de plasticiens, comme Gérard Fromanger, se dessine ainsi une aventure à nulle autre pareille.
De ces éclairages multiples découle encore une des vertus de l’ouvrage : nonobstant les jugements ou aprioris portés sur telle ou telle période, on se surprend finalement à aimer presqu’également tous les épisodes de cette longue saga, en ce qu’ils reflètent chacun les différents visages de la danse aux 20 et 21e siècles. Pour autant les difficultés ne sont pas tues, à commencer par celle, criante, de l’absence à Nancy de lieu de représentation dédié. Autre écueil, les changements parfois déroutants de ligne esthétique. Destiné à « mettre en lumière la danse moderne et révéler de nouveaux talents », le laboratoire imaginé dans le prolongement de mai 68, et installé dans les locaux de la maison de la culture d’Amiens, avait été conçu comme la rencontre de toutes les formes artistiques contemporaines : musique, peinture et danse.
Cette utopie à la Diaghilev, poursuivie à partir de 1972 à Amiens, mettait curieusement la danse, qualifiée d’ « expression corporelle », au second plan derrière l’ambition générale d’une fusion des arts. Le malentendu allait s’aggraver avec l’arrivée en 1978 de la troupe à Nancy sous le nom de Ballet - Théâtre Français, puis de Ballet Français. La nouvelle politique alors mise en œuvre de « têtes d’affiche » invitées, de Noureev à Patrick Dupont, allait renouveler entièrement un répertoire désormais dédié à la danse classique et néoclassique, sous la houlette d’Hélène Traïline. La direction ensuite de Patrick Dupont, puis celle de Pierre Lacotte, finiraient de brouiller les pistes et les appellations (la troupe devenant Ballet national de Lorraine), avant l’intérim d’un an de Françoise Adret, suivi de l’arrivée en 2000 de Didier Deschamps à la tête du nouveau Centre chorégraphique national - Ballet de Lorraine. Renouant dès lors avec un projet artistique ouvert sur la création chorégraphique, la compagnie se veut désormais aussi lieu de recherche, en liaison avec « des questions contemporaines » sous la conduite du duo Jacobsson-Caley. A cet égard, manque peut-être d’ailleurs un bref tableau chronologique en guise de pense-bête pour qui s’égarerait dans ces identités multiples !
Pour le reste, on savoure avec bonheur la lecture de ces pages, écrites dans un style vif, qui restituent au présent les jours passés comme si c’était d’hier. Et on ne peut que souhaiter longue vie à une institution qui a su épouser tous les combats de la danse.
Isabelle Calabre
50 Ans de révolution chorégraphique, du Ballet-Théâtre contemporain au CCN – Ballet de Lorraine, 1968-2018, par Agnès Izrine et Laurent Goumarre
Les presses du réel, 32 €.
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