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« Rhythm » de Jérôme Andrieu, Mié Coquempot, et Pierre Henry
Deux chorégraphes contemporains rencontrent le maître de la musique concrète. Tous trois inventent un grand voyage du rythme, qui anime la forte plasticité de leur pièce. Tout y est ressenti, de l'immense portée du rapport immédiat au monde.
Les deux danseurs Jérôme Andrieu et Mié Coquempot font leur entrée sur le plateau par une marche latérale, aux pas frappés au sol, bien sonores. C'est en cadence. Stristement réglé. Mais une petite dissonnance vient à se produire, juste d'une frappe, entre eux deux. L'oreille tique alors. Elle croit déceler une petite erreur momentanée. N'en fait pas cas.
Photographie Cyrille Guir Metz en Scènes Arsenal.
Mais voici que l'incident se reproduit, peu après. En fait d'incident, il faut parler d'introduction maîtrisée d'une variation rythmique. Beaucoup vont suivre. Toujours plus diverses. C'est une musique en train de naître. Un concert percussif de marches. C'est un retour aux fondamentaux.
En apparence extérieure, Rhythm est une pièce élégante et sophistiquée, tout à fait stable, sans aucune prétention à révolutionner les écritures. Pour autant, son idée creuse du côté des fondamentaux. Elle va donner une magnifique amplitude à un concept de base qu'on aimerait attribuer à la danse, qui consisterait à juste prendre la mesure du monde, et de soi par rapport au monde, les deux s'articulant. Les principes du rythme constituant l'une des algèbres qui s'y emploient. C'est assez simple ; mais profond, et puissant.
Photographie Cyrille Guir Metz en Scènes Arsenal.
Il suffit d'inscrire cela dans la suite de la précédente pièce de Mié Coquempot, PH. Mélomane contemporaine avisée, la chorégraphe avait alors composé cette pièce sur des musiques que lui avait confiées Pierre Henry. Si le résultat était des mieux aboutis, ce principe de composition chorégraphique venant s'ajouter à une pièce musicale pré-existante était des plus conventionnels.
Or Pierre Henry, maître de la musique concrète, connaît aujourd'hui – alors qu'il a 87 ans – un regain d'engouement inespéré. C'est le mouvement des nouvelles musiques électroniques, la techno notamment, qui s'est piqué de déceler en lui l'un de ses grand-pères, pionnier inspirateur de la sculpture directe de sons échantillonés, à l'aide d'une informatique en son temps encore balbutiante.
Photographie Cyrille Guir Metz en Scènes Arsenal.
La question de la spatialisation était aussi au coeur de la démarche, comme l'illustrait encore, de façon somptueuse, le dispositif de soixante enceintes dispersées aux pourtours de la grande salle de concert de l'Arsenal de Metz, pour la création de Fanfare et arc-en-ciel, ce vendredi 27 mars.
La veille au soir, la découverte de la pièce chorégraphique Rythm en était le prélude.
Il faut rendre à Mié Coquempot le grand mérite de réveiller la mémoire quant au fait que Pierre Henry fut aussi un immense compositeur pour la danse contemporaine de son temps. Comment ne pas mentionner sa Symphonie pour un homme seul, et autre Messe pour le temps présent, parmi une quinzaine de pièces au côté de Maurice Béjart, entre autres collaborations avec Nikolaïs, Balanchine, Carlson, et on en passe ?
Car enfin, qui dit spatialisation, et saisie directe des matières dynamiques du monde, est très proche de dire quelque chose de la danse.
Photographie Cyrille Guir Metz en Scènes Arsenal.
A cet égard, Rhythm est une pièce plus féconde que la précédente PH. Pour Rhythm, Pierre Henry lui-même a désiré composer une musique sur une chorégraphie pré-existante. C'est l'inversion du processus plus conventionnel – qui présidait encore à la création de PH, on l'a dit. Il en découle, à l'oeil et à l'oreille, au moment de percevoir le lien entre geste et musique, une sensation de plasticité de matières en expansion, dilatation, rétractation, dans la respiration des espaces entre action et son.
Les jeux d'échos, résonances, concomitances et dissonances, font éprouver l'expérience d'une amplitude active du monde, et de l'activation créatrice qu'y signifie toute présence. Par moment, cela ne va pas sans quelque grandiloquence. Mais il faut dire que Rhythm joue aussi de la grande image. Une bonne moitié du déroulé de la pièce, en son plein milieu, se donne sous la forme d'un film de danse, aux puissances panoramiques insensées. Là, il n'est pas vain de se souvenir que Pierre Henry fut aussi un compositeur fameux pour le cinéma.
Que sont ici les images ? Celles que Jérôme Andrieu et Mié Coquempot sont allées tourner eux-mêmes, équipés de très peu et sans la moindre équipe, dans les grands déserts de l'Ouest américain. Là-bas, des paysages inouïs – s'attarder ici de ce vocable qui réfère au son, quand on veut s'attacher plutôt à une description d'espaces –, des paysages inouïs crient l'immense mémoire géologique, fossilisée, des plus grandes temporalités constitutives de la planète même, qui se comptent en milliards d'années. On cherchait du rythme. En voici une échelle. Et laquelle !
Les deux artistes chorégraphiques y ont lancé leurs gestes, comme pour prendre la mesure de ces démesures, et y étalonner l'échelle réduite de leur présence momentanée à taille humaine. Comme ils se filment l'un l'autre, ils n'apparaissent jamais simultanément tous deux à l'écran. S'ensuit, au montage, la méta-chorégraphie d'un jeu de dialogues, par apparitions et absentements, qui excite la portée de leur geste dans un cadre qui semble irrévoquablement figé, autant que muet (à nouveau la question du son). C'est un enchevêtrement de rythmes concluants, jamais interrompus.
Restituant la richesse des couleurs, des matérieux (terres, pierres, minces végétaux) et des lumières, ce film de danse plasticien, intégralement tourné, dansé, monté, par ses chorégraphes vidéastes interprètes, est une invitation directe au voyage par-delà l'immédiateté du geste. C'en est très chromatique, brillant, lyrique, et on pouvait craindre un effet papier glacé, qui contredirait la sobriété de la présence au plateau, pour le prélude et le final.
Mais alors, un miracle de subtilités de lumières (Sylvie Garot),et le noir très simple des costumes portés, consolident le sentiment d'extrême exactitude qu'inspirent les danses interprétées par Mié Coquempot et Jérôme Andrieu, dans l'ici et maintenant de l'échange direct en présence du spectateur.
Le rapport habituel entre ces deux artistes a mûri, de longue date, comme celui de chorégraphe à interprète. Au côté de Pierre Henry, Rhythm les fait cette fois co-signataires d'une danse d'un individu qui pourrait être deux, et vice-versa, ni solo ni duo tout à fait, et qui ne se réduit en rien à une quelconque histoire de couple. Cette fusion et séparation constituante entre deux êtres est sans doute à ranger parmi les rythmes qui se donnent tout entier au monde, le faisant durer sans jamais qu'il soit même.
Gérard Mayen
Spectacle vu le jeudi 26 mars à Metz, au studio du Gouverneur de L'Arsenal.
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