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Anne Collod: Le Parlement des invisibles
Danser la mort est le plus existentiel de paradoxes. Anne Collod en tire une idée non moins spectaculaire: Convoquer un Parlement des invisibles, autour de la danse macabre. Le terme d'invisible visant les défunts, le lien avec la danse macabre passe par le rituel. En effet, les parlements de nos républiques en regorgent, les rites funéraires aussi.
Collod est donc venue à la Biennale du Val-de-Marne avec une pièce inspirée de la danse expressionniste allemande, ainsi que des fêtes funéraires mexicaines et du carnaval. Carne vale! La chair (elle vaut ce qu'elle vaut) mène la danse. Le jour où elle disparaît sous la terre, les morts laissent de multiples traces dans notre monde. Le Parlement des invisibles interroge ces ombres et présences, en proposant différents regards sur les relations que nous entretenons avec elles.
Le premier des partis pris au parlement chorégraphique des défunts est un voyage, fait de fascination et de trouble, à la manière d’une traversée du Styx façon vingtième siècle. Ces tableaux fantomatiques s'appuient sur la Danse macabre de Sigurd Leeder, chorégraphe allemand exilé à Londres, après avoir été l'élève de Kurt Jooss et interprète dans La table verte, une danse macabre en huit tableaux où les dirigeants politiques portent des masques grotesques.
Projections en noir et blanc, jeu avec l'ordre et sa transgression, présences fantomatiques, sur scène comme dans les projections de la chorégraphie de Leeder, filmée dans une reconstruction de Collod. Apparition chimérique d'une danse macabre. Sur le plateau, des effets stroboscopiques tamisés dissèquent les mouvements en douceur, créant des états de transitions et d'évanescence, repris dans un solo de Germana Civera qui confie au butô.
Ce flirt avec la perdition est contredit dans d'autres tableaux où danse, costumes, couleurs et formes abordent le burlesque, la sensualité et même l'érotisme. Le désir de vie s'y affirme avec force, jusque dans des états de possession, grâce à une brochette très select d'interprètes qui n'ont pas peur de s'aventurer dans des zones troubles.
Les costumes signés La Bourette sont de la même trempe, dans un style façon revue macabre ou carrément fantaisiste et flashy, soulignant à quel point les manières de danser la mort sont antonymiques. Et justement, la divergence entre la fascination morbide très stylisée et a joie de vivre latine creusent les différences culturelles au détriment de la fluidité et de l'unité.
Passons vite sur l'interminable étalage du feuillage sur le plateau qui donne l'impression que l'équipe technique est encore à l'œuvre. L'errance des âmes sur le plateau évoque un orchestre en train de s'échauffer. C'est le grand paradoxe de cette création où chaque partie est en soi une réussite, mais l'ensemble ressemble à un alignement de monologues plutôt qu'à un dialogue. Il serait facile de dire que cela est le propre des parlements...
Thomas Hahn
14 mars 2015, Biennale du Val-de-Marne, Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine
Distribution
conception et chorégraphie : Anne Collod en collaboration avec les interprètes - danse macabre Sigurd Leeder - interprétation Jonas Chéreau, I-Fang Lin, Germana Civera, Fabrice Ramalingom, Betty Tchomanga - collaboration artistique Johann Maheut, Cécile Prous - musique Pierre-Yves Macé, Camille Saint-Saëns - lumières Henri Emmanuel Doublier - costumes La Bourette - scénographie Johann Maheut - images Jacques Hoepffner
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