Error message

The file could not be created.

Add new comment

Marcos Morau La Veronal

À l’occasion de sa venue au Théâtre national de Chaillot où il présente Russia, nous avons interviewé Marcos Morau, directeur et chorégraphe de La Veronal.

DCH : Quel est votre parcours ?

M.M. : Marcos Morau : J’ai 31 ans, je ne suis pas danseur. Je viens de la photographie et du théâtre. Je me suis intéressé à la chorégraphie mais mon intérêt se porte avant tout sur la création. La danse est pour moi un moyen d’expression passionnant, mais ce sont surtout les arts scéniques qui m’attirent. Je pourrais faire de la mise en scène d’opéra dans les années à venir. J’adore créer des paysages et des situations, raconter des histoires ou parler d’émotions.

DCH : Pourquoi avoir choisi la danse, alors ?

M.M. : La danse m’apporte une abstraction qui permet de ne pas être collé à une signification. Le mouvement ne raconte rien. C’est énorme ! Du coup, il me donne la possibilité de peindre, des textures, des couleurs. Ensuite, j’aime travailler un langage corporel, non pas comme une suite de pas, mais comme un vocabulaire gestuel. Comme je n’ai pas de technique présupposée, je crée des règles particulières, qui me servent de langage pour communiquer avec les danseurs. Je leur indique également des chemins de création, des bases pour improviser ou ce que j’attends d’eux sur scène. Du coup, tout le monde parle la même langue et comprend les mouvements de la même façon. Comme les mouvements sont abstraits, c’est la situation, la musique, la scénographie qui posent le contexte concret.

J’ai la même impression quand je vais voir une chorégraphie. Si elle n’est que danse pure, je trouve cela beau, surprenant, mais personnellement j’ai besoin d’autre chose. Sans doute parce que je ne perçois pas la danse à travers mon corps. D’une certaine façon, c’est très paradoxal pour un chorégraphe. De ce fait, je me sens parfois plus à l’aise avec des publics qui viennent d’autres horizons comme le théâtre ou les arts plastiques. On est plus en phase au regard de mon passé.

DCH : Vous venez de la photographie, en quoi cela influence vos rapports avec la danse ?

M.M. : Mon grand père était photographe. Il aimait capturer l’instant. Personnellement, j’ai compris grâce à la danse ou le cinéma, que la composition du plan était la chose la plus importante. Pas seulement la couleur, la texture ou le cadre, mais ce qu’il y a dans la photo. La façon dont tous les éléments sont connectés entre eux, comme ils se répondent. La danse, c’est un peu pareil. La porte d’entrée reste le regard, même si tout un travail mental et émotionnel est convoqué, ce n’est que dans un deuxième temps. Donc pour moi, la composition de l’image est très importante. Ensuite, elle doit, bien sûr, avoir un sens, une puissance suffisante pour déclencher des émotions, une pensée, un concept.

DCH : Comment transférez-vous cela dans votre travail chorégraphique ? 

M.M. : Quand j’arrive au studio pour créer une pièce ou développer une idée, je me comporte comme un réalisateur. J’apporte un storyboard, ou je viens avec une idée déjà très précise de la composition du plan. Après je travaille les mouvements dans cette image. Je ne sais pas chorégraphier à partir de rien. Donc je travaille seul, à la maison, avec mes idées, mes impressions, mes sensations et quand j’entre dans le studio, je donne des indications aux danseurs pour que nous arrivions à construire cette image.

DCH : J’ai lu que vous aviez «  pour but de représenter le monde qui l’entoure comme un reflet de [votre] propre monde intérieur »

M.M. : Pour moi il est très important que la danse – mais l’art en général – soit connecté à la réalité. Bien sûr, l’art n’a aucune responsabilité de quoi que ce soit, mais ma philosophie est d’être pleinement ancré dans un présent, dans les sensations, dans ce qui se passe au moment où je crée. Je ne suis pas le même en 2014 que deux ans auparavant. Et pour moi, il est capital que mes créations porte la trace du monde dans lequel je vis ici et maintenant. Russia, par exemple, a été créée il y a trois ans. Et j’ai beaucoup changé depuis, l’idée de la Russie aussi mais j’ai décidé de laisser la pièce telle quelle. Elle traduit toujours une vision du monde à un moment x.

Russia : Galerie Photo de Laurent Philippe

DCH : Russia s’insère dans un décalogue de pièces évoquant des noms de lieux de la géographie occidentale, pourquoi cette idée du décalogue ?

M.M. : J’ai découvert il y a quelques années que j’étais intéressé par la géographie en même temps que par la danse, et j’ai pensé réunir mes deux passions. Je n’ai pas tout de suite pensé au décalogue. C’est après avoir créé Suéde que je me suis aperçu que j’adorais cette idée de série, un peu comme l’ont fait Pina Bausch ou Roméo Castellucci. Mais je ne cherche pas à décrire le lieu. Ainsi, Russia n’est pas centrée sur la Russie, mais sur la peur. Ce qui la relie à la Russie, c’est la musique, la politique, le folklore, les lacs, la nature. Et j’ai eu envie de rapprocher tout cela à mon idée de la peur.

Je voulais également incorporer l’idée d’un road-movie. Ces périples en voiture où les gens n’arrivent nulle part mais se sont transformés à l’issue du voyage.

DCH : J’ai lu dans le dossier de présentation que vous vous inspiriez de films pour cette pièce…

M.M. : On s’est inspiré de films et la danse, est d’une certaine façon, connectée à ces films. Je me sens proche d’une danse-cinéma comme on dit danse-théâtre. Le rythme des films, les plans, les sous-titres, tout le contexte s’y réfère peu ou prou. Par exemple, les grands plans fixes de Tarkovsky qui permettent d’entrer dans la psychologie du personnage…

DCH : Vous avez choisi pour cette pièce les partitions de Tchaïkovky et Stravinsky. Représentent-ils la Russie à eux deux ?

M.M. : Quand vous pensez Ballet et Russie, immédiatement, vous pensez Belle au bois dormantCasse-NoisetteLac des cygnes. Et puis ensuite Le Sacre du printempsl’Oiseau de feuPetrouchka. J’adore cette musique. J’avais vraiment envie d’utiliser la valse du Lac, c’est très banal mais aussi très pathétique, et très représentatif de la culture russe du 19e siècle. L’Oiseau de feu, dont l’introduction est très sombre, très effrayante, pose le paysage dès le début de la pièce. C’est presque une bande-son de film.

Par ailleurs, j’ai également demandé une composition originale pour marquer la situation du road-movie. Alors qu’ils roulent à travers la forêt vers le Lac Baïkal, ils vont vers leur destin. J’ai choisi le Baïkal, car c’est le lac le plus profond du monde. Et le concept, c’est qu’ils plongent profondément en eux-même. Au départ, je voulais utiliser une voiture sur scène. Puis j’ai décidé de la retirer ; il faut faire marcher son imagination.

Russia : Galerie Photo de Laurent Philippe

DCH : Les derniers événements liés la Russie actuelle, notamment la situation en Ukraine, ont-ils un impact sur Russia ?

M.M. : Ce qui m’importe c’est de laisser des portes ouvertes. Je ne voulais pas parler directement ni de Poutine, ni du communisme. Mais si vous mettez comme titre Russia, et que vous le reliez à la peur, avec un soldat et une mitraillette qui menace une danseuse du Lac des cygnes, bien entendu, il y a un impact et vous convoquez tout l’imaginaire lié à toutes ces significations possibles. Toutes les références sont activées dès que l’on prononce le mot. Pour autant, je ne l’ai pas modifié depuis les événements en Ukraine, pas plus que je ne parle del’homosexualité ou de Poutine. Il y a trois ans, l’image de la Russie n’était pas la même, les choses étaient peut-être plus invisibles. Mais, je ne veux pas représenter les choses directement. Je ne souhaitais pas non plus donner à la pièce une dimension exclusivement politique. Ce qui aurait été le cas si j’avais forcé le trait.

 

Propos recueillis par Agnès Izrine

Théâtre National de Chaillot du 15 au 18 avril 2014

http://theatre-chaillot.fr/

À suivre du 22 au 23 mai dans le cadre des Rencontres chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis au Forum de Blanc-Mesnil
La Veronal & Lali Ayguadé : Portland

http://www.rencontreschoregraphiques.com

 

Catégories: