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Entretien : Andréa Sitter

Ancienne danseuse classique, poète de son état, Andrea Sitter fait de l’art contemporain en créant des performances absurdes. Blonde, fine et longiligne, d’origine bavaroise et toujours drapée d’un sourire à la Joconde, elle jongle avec les pas de danse, les signes et les mots. À première vue, on qualifierait son humour de « british », mais son accent, dont elle joue malicieusement, est allemand. Son sens du décalage se double d’une douceur viennoise, remise au goût parisien de la réflexion sur l’acte artistique. En rencontrant Danser Canal Historique, elle était comme à son habitude, délicieusement surannée, la tenue toujours rigoureuse, un brin aristocratique sur les bords mais consciente de l’être. Forte de son autodérision au troisième degré, elle sait mettre dans son attitude autant d’Ionesco que de Pina Bausch.

Danser Canal Historique : Que représente pour vous la cinquième position? Changez-vous souvent de position ? Vous situez-vous dans l’opposition ?

Andrea Sitter : La cinquième est la position la plus difficile. Elle est schizophrène. La dernière des positions ! Le talon gauche regarde vers la droite, le talon droit vers la gauche, le tout dans un seul corps. Quel paradoxe ! Mais elle reflète bien ce que nous sommes, avec nos diverses facettes d’une même personnalité, nos contradictions et nos dédoublements. C’est la position par excellence pour parler de l’existence.

DCH : Vous avez créé La Cinquième Position en 2008, pour revisiter votre propre carrière. Dans votre position d’auto-chroniqueuse, ne devriez-vous pas écrire régulièrement des rallonges pour rester à jour ?

A.S. : Il est vrai que la chronique est née en 2008. Mais ma position est que je n’ai jamais changé de position, ni eu ce projet, et surtout pas celui d’une chronique rechargeable. En 2008, Christophe Martin m’a commandé une autobiographie dansée pour le festival Faits d’hiver. Il n’a pas commandé une pièce évolutive. Depuis, j’ai beaucoup dansé La Cinquième Position. Dois-je parler de La Cinquième Position dans La Cinquième Position ?

DCH : Il faut prendre un peu de distance avec soi-même pour pouvoir parler de sa propre carrière. Idéalement, ce serait une vingtaine d’années. Nous pouvons donc attendre un peu.

A.S. : Même plus ! La Cinquième Position commence par mes cinq ans, mes premiers cours de ballet. La pièce raconte tout ce qui a sédimenté depuis ma jeunesse. Elle se penche ensuite sur la période à partir de mon arrivée à Paris, en 1980. En 2008, c’était déjà presque trois décennies de vie parisienne !

DCH : La pièce parle beaucoup de votre relation à d’autres, professeurs ou chorégraphes. Depuis, vous avez beaucoup travaillé grâce à vous-même, sur et à partir de vous-même.

A.S. : C’est vrai. J’ai été fécondée par beaucoup de personnes, beaucoup de chorégraphes. À un moment donné, j’avais l’impression d’avoir accumulé suffisamment de bagage pour trouver en moi-même une richesse qui me permet de travailler dans différentes disciplines artistiques à partir de mon expérience. J’ai bien sûr continué à faire de belles rencontres. J’ai pu créer pour le Ballet de Lorraine, par exemple. Je ne me sens pas désemparée quand je me trouve face à trente danseurs. Je trouve en moi des choses à leur transmettre. Mais dois-je vraiment quitter La Cinquième Position pour une sixième ?

DCH : En effet, nous avons sans doute plus besoin d’une sixième république que d’une sixième position. Et si vous voulez vous exprimer davantage, vous pouvez le faire directement dans un sixième solo, La Cinquième Position étant votre cinquième.

A.S. : Je pense que j’essaierai plutôt de trouver une position moins exposée, au lieu de toujours me mettre en avant ou au centre. Je ne sais pas où mes pas vont me mener, mais j’aimerais avoir les pieds bien solides.

DCH : Après votre autobiographie dansée, vous pourriez écrire un livre...

A.S. : Certes, j’écris, mais plutôt des textes qui trouvent leur entrée dans mes pièces. J’écris à partir de mes observations au quotidien, comme pour U.I.A.R., qui signifie Une Intense Action Restructurante. Je l’ai emprunté à une publicité pour produits cosmétiques. Récemment j’ai été interpellée par une publicité pour des toilettes autonettoyantes qui en plus nettoient l’utilisateur. Il y a là sans doute du matériau pour la scène. Je sais qu’au Japon ça existe depuis longtemps, mais pour moi c’est tout de même singulier, voyez-vous. Il est vrai qu’il y a des gens plus rapides que moi. Je ne suis pas toujours en pole position. Quant à l’écriture d’une autobiographie, c’est pareil.

DCH : Êtes-vous aussi décalée et humoristique dans la vie que sur scène ?

A.S. : Je ne me dis pas en me réveillant, allez, aujourd’hui je vais faire de l’ironie. Mais quand je vois les gens et leurs comportements, j’ai l’impression de voir partout des personnages dans une grande comédie théâtrale. C’est le « théâtre du monde », selon Faust. C’est parfois drôle et parfois à pleurer. Cette scène universelle est traversée par tant d’amour et tant d’horreurs dans toutes leurs variations. Et tout est tellement dérisoire face à l’ultime vérité qui nous attend. Parfois nous sommes tellement hystériques. En courant après notre quart d’heure de gloire, nous agitons nos ailes telle une poule excitée, alors que demain tout peut être fini. Et je me dis donc, mais quelle chance ai-je de pouvoir passer une heure entière devant le public !

DCH : Après La Cinquième Position au Théâtre national de Chaillot, vous allez créer à l’Opéra national de Bordeaux Encore Heureux avec le collectif Yes Igor, un ensemble de musiciens-comédiens tout aussi délicieusement tragicomiques que vous-même.

A.S. : Ce collectif a été fondé par un musicien qui se nomme Monsieur Gadou. Nous avons créé une performance ensemble, il y a quinze ans. Aujourd’hui, l’Opéra de Bordeaux nous propose de créer ensemble une comédie musicale inspirée de La Mouette de Tchekhov. C’est vrai qu’ils sont tous un peu gaga, comme moi-même. Je joue Arkadina en dansant et chantant. Nous allons monter une sorte de tournage de film où on peut voir tous les effets spéciaux qui vont s’emballer et provoquer un cataclysme. Il paraît que c’est la province, comme chez Tchekhov où tous les personnages sont des comédiens amateurs…

Propos recueillis par Thomas Hahn

La cinquième position, une chronique dansée

Théâtre National de Chaillot

À 20h30 : vendredi 5, samedi 6, mardi 9, mercredi 10 , jeudi 11, mercredi 17, jeudi 18, vendredi 19 décembre

À 19h00 : vendredi 12 décembre

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