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Paco Dècina: "La douceur perméable de la rosée"
Présentée en création mondiale aux Hivernales d'Avignon, La douceur perméable de la rosée de Paco Dècina qui s'inspire des Terres Australes Françaises, a été remarquée dans le cadre du festival avignonais.
Qui peut vivre quatre mois sans téléphone portable ou connexion internet ? Est-ce encore possible ? Les Îles Crozet, terre australe improbable, lancent ce défi-là et bien d'autres aux artistes qui postulent pour une résidence d'écriture dans les Terres australes et antarctiques françaises (Taaf).
Lien vers l'appel à candidatures, à l'origine de l'aventure de Dècina.
Paco Dècina a été sélectionné en tant que chorégraphe pour relever le défi. En 2014, il est parti. Mieux, il est revenu, sain et sauf et surtout, riche d'une expérience de l'extrême, expérience dont il tire une pièce de danse absolument bouleversante, La douceur perméable de la rosée.
Mais de quelle douceur peut-il bien s'agir ? Les îles sub-antarctiques, également appelées "Îles de la Désolation" ne sont-elles pas connues pour l'adversité de leur climat, impossible à concevoir dans un pays qui tient chaque année son salon de l'agriculture ? Face aux tempêtes et au grand froid, même la météo au temps des Hivernales, festival avignonais ayant accueilli Dècina pour la création mondiale, est d'une douceur indicible.
Douceur paradoxale
Tempêtes et violences ne sont pas absentes de La douceur perméable de la rosée. Mais même dans ces moments, les trois interprètes restent dans une indicible fluidité, comme mis au ralenti par un maître tibétain. Ils ne dansent pas le mouvement, ils sont le mouvement ! C'est rare, c'est magique. Sans passer par l'unisson, leur unité est totale. En donnant l'illusion d'être véritablement un ralenti de la vitesse originelle, ils incarnent un état d'harmonie et de paix qui est, nous le savons tous, une illusion totale par rapport à une nature brutale et imprévisible.
Que signifie alors la douceur paradoxale de ce trio ? Ce n'est pas tant le temps du climat et de la météo qui adoucit ses mœurs, mais Chronos ! La danse donne à voir cette régularité et l'absence même d'une conscience du temps, ce qui crée l'infini, en même temps que l'importance absolue de l'instant. Aussi, toute danse devient une allégorie de l'essence même de la nature. On a souvent senti chez Dècina le désir d'aller vers cet état-là. Le séjour aux îles Crozet lui a permis d'y accéder enfin. On sent comme une libération, et Paco confirme que c'est la liberté d'une telle résidence de recherche qui l'a le plus marqué: "C'était la première fois".
Des territoires de l'imaginaire et du rêve
"Ces îles sont habités par des militaires, des scientifiques et des techniciens, avec des missions purement utilitaires. Nous voulions montrer qu'elles peuvent aussi être des territoires de rêve", explique Marc Nouschi, directeur de la Direction des Affaires Culturelles Océan Indien (DAC-OI). La création de Dècina va au bout de ce raisonnement, avec une rêverie philosophique plutôt que touristique. "J'avais prévu des vidéos tournées sur place, mais finalement le son ouvre l'imaginaire bien plus que l'image." En effet, on entend beaucoup de sons récoltés et retravaillés pour une partition excitante, musique concrète et fantasmagorique en même temps.
Mais La douceur perméable de la rosée a deux visages. Dècina y travaille aussi sur la vie concrète des scientifiques. Capture et marquage d'oiseaux, moments d'oisiveté, repas partagé, départ en hélicoptère (moment magistral et spectaculaire dans sa simplicité). Mais malgré ce basculement d'une danse allégorique vers le documentaire, jamais cette sensation aérienne, cette rosée de douceur ne quittent le plateau. Quand la table est mise, pour un repas à huit, nous pouvons atterrir et rejoindre la ville.
Le plus étonnant est de savoir que seul le chorégraphe a vécu l'aventure sur place et que la transmission des impressions reçues s'est faite sans paroles, sans discours, uniquement par le corps en mouvement. Pas exclu que l'expérience continuera à cheminer à travers son œuvre. "Je suis seulement en train de comprendre, petit à petit, ce qui s'est vraiment passé la-bas."
Par ailleurs, la DAC-OI ouvrira bientôt son appel à candidatures pour la prochaine résidence, prévue pour 2016. Si on songe à inviter un compositeur et un romancier, les artistes de toutes disciplines peuvent postuler. Le but est de créer une sorte de Villa Médicis à cet endroit improbable. La France sait encore s'inventer des rêves!
Thomas Hahn
La douceur perméable de la rosée
Festival Les Hivernales, Avignon, Théâtre Benoït XII, 25 février 2015, création mondiale
chorégraphie Paco Dècina
avec Vincent Delétang, Jérémy Kouyoumdjian et Sylvère Lamotte
création lumière Laurent Schneegans
création son Fred Malle
création vidéo Serge Meyer
au Théâtre 71 de Malakoff les 5 mars à 19h30 et le 6 mars à 20h30
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