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Entretien : Sandrine Bonnaire
La comédienne Sandrine Bonnaire se lance dans un théâtre du mouvement, avec la danseuse chorégraphe Raja Shakarna, pour la création Le Miroir de Jade. Une œuvre chorégraphiée, du dialogue intime entre un théâtre de texte et un théâtre du mouvement. Parce que ce dialogue fait sens, parce ce qu’il est le meilleur moyen d’expression pour cette histoire singulière qui raconte le bouleversant chemin du retour au monde d'une femme, à la suite d'un coma. À découvrir à la Comédie de Valence dès le 9 janvier avant une tournée qui la portera notamment à la Maison de la Danse de Lyon et au Théâtre du Rond-Point à Paris. Nous l'avons interrogée sur cette toute nouvelle expérience.
Danser Canal Historique : Comment est né le projet de ce spectacle ?
Sandrine Bonnaire : Lors d’une discussion avec une amie d’enfance, Raja Shakarna qui est danseuse et chorégraphe, nous évoquions le fait que notre outil de travail est notre corps, notre être, ce qui induit fatalement une sorte de fragilité face aux accidents possibles de la vie. Cela a donné lieu à une réflexion sur l’ombre, la lumière, la reconstruction de soi et c’est ainsi que cette idée a pris forme. Nous avons alors pensé à inventer un personnage qui retrouve son corps, son âme, puisque Le Miroir de Jade raconte l’histoire d’une femme qui va se relever peu à peu d’un coma – mais ça pourrait être n’importe quoi d’autre – et qui se reconstruit grâce à ses propres forces, et grâce à une amie, qui va l’aider à surmonter cette atteinte. Elle est dépossédée d’elle-même, de son corps, de son environnement. C’est donc un thème qui tourne autour de la reconstruction, de l’amitié, de l’expression du corps car c’est une pièce peu bavarde. J’incarne un personnage qui ne parle pas, qui ne peut verbaliser son état, mais s’exprime à travers un langage gestuel. Nous aimions l’idée de se passer de mots.
DCH : Cela vous a-t-il demandé un entraînement particulier ?
Sandrine Bonnaire : Absolument. Nous avons beaucoup travaillé corporellement, nous avons eu des heures d’échauffement, d’étirements, toutes sortes de pratiques pour nous préparer. Ensuite, nous avons installé notre propre vocabulaire gestuel. Nous en sommes arrivés aux répétitions à proprement parler, à la chorégraphie où chaque geste est choisi, pensé, à partir de la réaction ou du comportement des personnages.
DCH : Cela vous paraît-il très différent de votre travail de comédienne ?
Sandrine Bonnaire : C’est très intéressant et peut être pas si différent de se glisser dans la peau d’un personnage avec des mots puisqu’il s’agit toujours d’interprétation. Mais c’est très agréable, très jubilatoire mais également épuisant car le corps est très sollicité mais c’est une belle expérience.
DCH : Dans le théâtre j’imagine que vous aviez déjà abordé un certain rapport gestuel à vos rôles, puisque chaque personne ou personnage a sa gestuelle, c’est ce qui le rend crédible…
Sandrine Bonnaire : Tout à fait. D’une certaine façon, c’est également ce qui nous a conduites à élaborer ce projet. À chaque fois que je discutais avec Raja de mon travail de comédienne, je me suis aperçue que je parlais très souvent du corps. S’il s’agit surtout d’un travail analytique au moment de la lecture d’une pièce ou d’un scénario, ensuite, quand on est sur un tournage ou sur scène, on n’est plus dans la réflexion mais dans le faire. Et c’est alors le corps qui s’exprime, et dans un langage assez immédiat.
DCH : Comment avez-vous abordé la chorégraphie ?
Sandrine Bonnaire : En fait, Raja nous a demandé au début de suivre nos sensations. Ce ne sont pas des mouvements choisis au hasard ou plaqués à partir d’un vocabulaire existant. Elle nous a beaucoup observées, nous sommes cinq sur scène dont trois à nous exprimer par le geste, et chacune d’entre nous a été scrutée dans les moindres détails pour déterminer ce qui était le plus juste. Le travail consistait donc à mettre au jour nos impressions profondes, nos perceptions intimes, d’être au plus près de soi-même et de savoir ce que l’on était de capable de faire, au plus juste. Car nous n’avons pas toutes la même manière de se mouvoir, nous sommes très différentes. Nous avons donc commencé comme ça pour apprécier quelle liberté nous pouvions dégager en fonction de ce que nous sommes et ensuite, Raja nous a créé des mouvements qui sont pensés pour nous que nous avons retravaillés. Donc c’est un mélange entre ce qui convient aux personnages et ce que nous sommes.
DCH : Vous avez donc élaboré votre rôle à partir d’improvisations…
Sandrine Bonnaire : Tout à fait. Je n’avais pas vraiment abordé ce genre de pratique. J’avais fait un peu de danse mais ça n’était pas de cet ordre. Quand on prend des cours de danse on a rarement accès à la chorégraphie. Ce sont plutôt des exercices ou des mouvements que l’on répète, que l’on améliore… Là, nous suivons une histoire, les mouvements s’enchaînent pour créer une narration, c’est très nouveau pour moi. Même si j’avais fait un peu de danse indonésienne où nous avions de petites chorégraphies à exécuter.
De plus, ce spectacle est difficile à qualifier. Ce n’est pas vraiment un spectacle de danse, au sens traditionnel de ce terme, mais c’est un spectacle gestuel, avec une approche différente, des mouvements qui sont nouveaux. C’est vraiment une aventure.
DCH : Est-ce vous qui avez développé l’écriture chorégraphique de ce spectacle ?
Sandrine Bonnaire : Nous l’avons conçu ensemble, pensé ensemble, et Raja a vraiment développé l’écriture.
DCH : J’ai lu que, lorsque vous aviez toutes les deux dix ans, Raja Shakarna voulait devenir comédienne et vous danseuse…
Sandrine Bonnaire : Oui, c’est drôle.
DCH : Pourquoi vouliez-vous être danseuse ?
Sandrine Bonnaire : Sans doute grâce à Raja. Quand nous étions enfants, on dansait beaucoup dans sa famille. Il y avait de la musique, nous dansions dans la chambre de Raja, dans le salon. Le goût de la danse est venu comme ça, bien avant que Raja ne devienne danseuse.
DCH : Vous vous imaginiez danseuse dans quel style de danse ?
Sandrine Bonnaire : Je pense que ça aurait été la danse classique. J’en ai fait, c’est d’ailleurs ce que j’ai pratiqué le plus. Mais aujourd’hui, je dois me débattre avec ça. Car le classique, c’est une base qui peut servir à de nombreux styles, mais il faut s’en défier aussi. C’est la découverte que je suis en train de vivre avec mon propre corps. Car la danse classique génère aussi des raideurs que j’ai emmagasinées et que Raja s’emploie à faire disparaître, à faire céder.
Elisa Gomez qui joue mon reflet puisque la pièce s’appelle Le Miroir de Jade, donc une sorte d’écho de mon image, de ma vision interne, a également fait de la danse classique et fait face aux mêmes blocages, aux mêmes inhibitions, des espèces de codes inscrits qu’il faut absolument casser pour ce projet.
DCH : Vous êtes trois femmes sur scène, quel rôle joue l’autre personnage ?
Sandrine Bonnaire : Elle joue Iris, mon amie. C’est un personnage très concret, qui a un peu de texte, mais s’exprime aussi par le corps. On comprend à travers elle que Jade a été danseuse et qu’elles ont beaucoup travaillé ensemble. Elle la ramène à la vie à travers le mouvement. Elle apparaît de manière assez onirique, un peu fantomatique, car la pièce est construite autour de la traversée intérieure de Jade, donc ce personnage est également l’émanation de ses pensées, de ses états, de ses émotions, parfois déformées. Pauline Bayle qui incarne Iris est une jeune actrice formidable qui sait faire passer deux aspects de sa présence.
DCH : Vous parlez d’image, le fait d’être en mouvement modifie-t-il la perception de votre image scénique ?
Sandrine Bonnaire : Je dirais que c’est une sensation de mise à nu plus forte. Ça me donne davantage le trac. Au départ, j’imaginais que non, puisque mon personnage n’a pas de texte. Je me disais même, ce sera plus facile… Et pas du tout ! C’est vraiment difficile car chaque mouvement est révélateur, dévoile quelque chose de très intime. Il faut mettre sa timidité de côté, comme pour le chant d’ailleurs. C’est une approche où il faut du courage, il faut se lancer. Du coup, par rapport à mon image, d’un côté je n’y pense pas du tout, de l’autre, c’est intimidant car je la maîtrise moins que dans mon travail de comédienne.
Et pour moi, le rapport à la scène – même si je suis revenue au théâtre il n’y a pas si longtemps – reste malgré tout nouveau. Je n’ai pas une grande habitude du plateau. Donc au niveau du mouvement il faut tout amplifier, c’est l’opposé du cinéma. Donc c’est intéressant de trouver des nuances, des petits gestes qui doivent se voir, donc être augmentés, mais sembler infimes. Pour le coup, c’est un travail qui n’est pas facile et je n’ai pas de retour sur ce que je produis. Même si on filme les séquences pour pouvoir malgré tout travailler l’image. Ça m’aide, ça me permet de me corriger en voyant ce que ça donne.
DCH : Pouvez-vous nous parler de la musique puisque les musiciens sont sur scène avec vous ?
Sandrine Bonnaire : La musique est un personnage en soi dans Le Miroir de Jade.
Il y a une percussionniste Yi-Ping Yang qui est fomidable. Elle joue toutes sortes d’instruments, indiens, asiatiques, africains dont elle sort des sons invraisemblables, un univers fantastique, c’est une sorte de magicienne, très inventive.
Et un violoniste, Petr Ruzicka, qui joue dans un style yiddish et tzigane.
La musique accompagne les états des personnages, notamment de Jade, et traduit ses émotions, ses perceptions, son chaos intérieur, ses sensations, ses chahuts car elle est dans l’indicibilité des choses, de son identité et la musique traduit une sorte d’éveil.
Nous avons commencé à répéter sans la musique pour ne pas être influencées par elle. Elle doit venir ponctuer le propos sans jamais le répéter, et nos mouvements ne doivent surtout pas se caler sur la musique, sauf à la fin qui se termine sur un magnifique morceau et une partie plus chorégraphiée.
DCH : Et la scénographie ?
Sandrine Bonnaire : Le décor est superbe. Un beau travail, très poétique, avec peu de choses, mais qui correspond parfaitement à l’atmosphère de la pièce.
DCH : A-t-il été difficile de vous glisser dans ce personnage ?
Sandrine Bonnaire : Non pas du tout. Pour moi, ça parle de renaissance, après avoir vécu une mort symbolique à tous les niveaux, une perte d’identité, mais c’est très lumineux. C’est un personnage qui va très mal mais se relève. Du coup, c’est très agréable parce que tout se joue dans le moindre détail. Le moindre mouvement doit être exact. Finalement, je n’ai pas tant l’impression d’être avec un personnage privé de parole. Jade, c’est un rôle comme un autre ce qui est assez exceptionnel c’est qu’il faut se livrer davantage, apporter une part de soi.
Ce qui est difficile c’est de faire correspondre ses sensations avec ce que va en percevoir le public. De plus, il va falloir s’adapter à toutes les scènes car la pièce va tourner. À la Comédie de Valence, la scène est très grande, ensuite ce ne sera sans doute pas le cas partout. Même si ça ne change pas la chorégraphie, le nombre de pas, de tours, les distances, se modifient, même les placements sur le plateau.
DCH : Allez-vous voir des spectacles de danse ?
Sandrine Bonnaire : Je vais voir de la danse de temps en temps. J’ai vu un spectacle de Philippe Decouflé il y a deux ans que j’ai trouvé très beau et récemment j’ai beaucoup apprécié Swan Lake de Dada Masilo.
Propos recueillis par Agnès Izrine
Le Miroir de Jade de Sandrine Bonnaire et Raja Shakarna
Création à La Comédie de Valence du 09 au 17 janvier 2015 à 20h
TOURNÉE 2014-2015
Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau, Sète – 22 & 23 janv 2015
Scènes&cinés Ouest Provence, Istres – 27 janv 2015
Anthéa, Antipolis Théâtre d’Antibes, Antibes – 3 fev 2015
Scène Nationale de Cavaillon, Cavaillon – 10 fev 2015
Théâtre d’Auxerre, Auxerre – 17 fev 2015
La Maison de la Danse, Lyon – 3 & 4 mars 2015
Théâtre du Rond-Point, Paris – 10 mars > 11 avril 2015
Mise en scène et chorégraphie Raja Shakarna
Assistanat à la mise en scène Alexander Moralès
Regard dramaturgique Catherine Ailloud-Nicolas
Scénographie Bruno de Lavenère
Son Frédéric Bühl
Lumière David Debrinay
Avec
Sandrine Bonnaire et Pauline Bayle, Elisa Gomez
Percussionniste Yi-Ping Yang
Violoniste Petr Ruzicka
Production
La Comédie de Valence, Centre dramatique national Drôme-Ardèche