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« I feel 2 » de Marco Berrettini
Tout comme une droite visible ne peut être que le prélèvement entre deux points d’une ligne infinie, I feel 2 semble être la saisie momentanée d’une danse éternelle dans ses retours. D’où peut-être ce décor de jardin d’Eden suspendu, dont les couleurs sont absentes, comme si l’instant était gelé dans ce Paradis de la danse.
Au milieu des ces plantes bleu gris givre, Marco Berrettini et Marie-Caroline Hominal, tous deux torse nu, enchaînent à perpet’ une série de pas sur six temps en se regardant dans les yeux. Ils ne se touchent pas, ni même ne se frôlent, ils dansent en miroir, tandis que la musique obsédante (et extrêmement bien menée) composée par Samuel Pajand et Marco Berrettini (groupe Summer Music) soutient ce pas de deux arpenteur. Rien n’a lieu que la danse. Du moins dans un premier temps. Mais, alors que le duo semble immuable, se dessine autre chose de l’ordre du rapport et de l’intention.
Loin d’une régularité sans faille, le pas de base varie en intensité et rapidité, et même se modifie subrepticement. Quand il reprend sa forme exacte, ce sont les accents qui soudain mettent en relief tel ou tel détail anatomique. C’est une sorte de mécanique des corps fluides, plutôt que célestes, avec son déroulement en bande de Moebius qui ne quitte pas le sol. S’en dégage une sorte de tension qui force l’attention. Et quand cette dernière est prête à lâcher, une intention nouvelle relance la concentration. Ça pourrait s’apparenter à la transe, mais ce n’en est pas. Ou à de la danse répétitive, mais ça n’en est pas non plus. C’est plutôt une sorte de condensé qui réunirait dans un même mouvement le post-modernisme et la danse sportive. Soit, si l’on y réfléchit, une sorte de résumé du parcours de Marco Berrettini qui commença sa carrière en gagnant un championnat de danse disco à quinze ans, avant de parfaire sa formation à la Folkwangschulen Essen, sous la direction de Hans Züllig et Pina Bausch puis de créer des pièces foutraques, curieux mélange d’un populaire recyclé et d’une forme d’hétérotopie très personnelle…
Peut-être est-ce d’ailleurs là le sens de ce décor très plastique : « Le jardin, c'est, depuis le fond de l'Antiquité, une sorte d'hétérotopie heureuse et universalisante » nous dit Michel Foucault. Tout comme le miroir et ce jeu de regard que I feel 2 met en scène.
Mais la pièce ne s’arrête pas là. Comme toujours Berrettini sait ménager ses surprises pour nous ramener à une sorte de quotidien perverti. Là, c’est un drôle de personnage feuillu (Samuel Pajand) qui sort du bosquet après y avoir joué de la trompette, installe une table (qui était une valise mystérieuse depuis le début de la pièce) et propose sandwich et milk-shake à ces marathoniens d’un nouveau type. Mais loin d’ « On achève bien les chevaux » c’est une danse du plaisir et du calme qui sourd de ces corps en mouvement.
Agnès Izrine
24 novembre, Théâtre de la Cité Internationale, dans le cadre du Festival d'Automne
Distribution :
Direction artistique et conception Marco Berrettini
Interprétation Marco Berrettini, Marie-Caroline Hominal, Samuel Pajand
Musique Summer Music
Scénographie et lumière Victor Roy
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